L’Amazonie : un imaginaire réel, une réalité imaginaire (1)

Traduit du portugais par Sofia Pereira

Qui souhaite réellement connaître l’Amazonie doit être disposé à reconnaître la complexité et la diversité qui sont présentes dans son vaste territoire, non seulement dans la nature, mais aussi au sein des personnes qui l’habitent. Le terme « Amazonie » est aujourd’hui une véritable marque. Il existe plus de 25 millions de sites qui l’utilisent. Il y a des millions de personnes qui visitent cette région et il y en a tout autant qui alimentent le désir de la connaître. Mais quelle Amazonie recherchent-ils? La réelle, ou l’imaginaire? Ce vaste territoire éveille la curiosité et la convoitise depuis que les colonisateurs européens circulent sur les eaux boueuses et jaunes de l’immense fleuve Amazone à la recherche de métaux précieux, d’épices et même d’une sorte de civilisation perdue, dirigée par des femmes guerrières. Le grand fleuve est à la base de l’imaginaire qui s’est construit sur l’immense territoire. Il y est pour beaucoup, mais il ne fait pas tout. Il y a beaucoup d’autres rivières, les igarapés, des cours d’eau qui reçoivent des dénominations variées, et d’innombrables sources qui alimentent et composent le réseau hydraulique. Dans cette région, le fleuve est la route, la source d’alimentation, l’inspiration poétique, la vie. Mais, ironiquement, par lui viennent aussi la destruction et la mort.

 

FLEUVES AMAZONE ET TAPAJÓS, A PROXIMITE DE SANTARÉM-PA

   
Sur ces images, appartenant à l’auteur de l’article, nous voyons deux immenses fleuves de l’Amazonie brésilienne.

 

L’Amazonie est un concept construit, arbitraire, chargé d’intentions. Il donne son nom à un espace géographique qui subit depuis longtemps de multiples modifications, toutes associées à la recherche de richesses. Celles-ci affectent la faune et la flore, tout comme la composition chimique du sol, du sous-sol, des eaux et de l’air, et touchent principalement les personnes qui y vivent. Nous savons aujourd’hui que l’Amazonie abrite la plus grande biodiversité du monde. De la même façon, la composition humaine amazonienne est dynamique, multiple, singulière, et encore peu connue, si nous tenons compte de l’amplitude du territoire plutôt que de la concentration de la population. Par conséquent, il n’y a pas une Amazonie « cristallisée ». Mais il n’est pas rare que certaines analyses prennent la part pour le tout. La caractérisation d’une « fraction » de l’Amazonie est alors prise comme expression représentative de toute la région. Dans ce sens, soulignons la nécessité d’inclure la pluralité humaine et sa répartition sur ce vaste territoire hétérogène, si nous voulons effectivement connaître sa réalité, même si pour cela il nous faut prendre la voie de l’imaginaire.

Nous ne pouvons pas dire que nous connaissons l’Amazonie lorsque nous avons simplement fait un voyage à Belém ou à Manaus, ses deux plus grandes villes, capitales respectives de l’Etat du Pará et de l’Etat de l’Amazone. Nous ne connaissons pas non plus l’Amazonie en visitant un village éloigné ou une communauté isolée. Dans ces cas, il nous faudrait spécifier à quelle Amazonie nous serions en train de nous référer. La région est si immense et diversifiée qu’elle abrite des villes à l’image de celles les plus avancées du monde, en même temps que, autour de cette oasis, vivent des personnes dans des conditions ressemblant à celles des récits des ères préhistoriques. C’est pourquoi connaître l’Amazonie exige un effort, que ce soit dans le sens du déplacement dans son vaste territoire, ou dans celui du voyage favorisé par la lecture de textes fondés sur des informations et des recherches fiables, avec l’aval de la communauté scientifique et la légitimation de ses protagonistes.

En tant que natif de cette région, et chercheur dans la branche de l’éducation, je me propose de contribuer à la construction d’un regard plus englobant et moins stigmatisé dans lequel nous pourrions voir la diversité culturelle avec l’intensité qui est donnée à la biodiversité, et où l’exotique serait traité comme tel, et non pas comme l’expression d’une réalité forgée. Être né en Amazonie et y vivre représente un privilège mais en même temps un défi. Privilège de pouvoir voir, à tout moment, des paysages originaux et exubérants, constitués d’êtres humains si divers. Défi de faire quelque chose, tant qu’il en est encore temps, pour que le monde continue à avoir ce patrimoine mais en comprenant qu’il est nécessaire de chercher un équilibre entre son développement et sa préservation, entre sa nature et ses occupants.

Dans ce texte initial, je vais aborder quelques questions historiques relatives à l’Amazonie. Durant l’Union Ibérique (1580-1640), l’aire territoriale colonisée par les Portugais dans l’Atlantique Sud a été divisée, juridiquement, en deux Etats : celui du Maranhão, directement relié à la Maison de Supplication de Lisbonne ; et celui du Brésil, dépendant de la Relation de Bahia (à partir de 1751, de la Relation de Rio de Janeiro). L’Etat du Maranhão correspondait aux capitaineries du Maranhão, du Pará et du Rio Negro. Il a subi des changements de nom au fil du temps, tels qu’ Etat du Maranhão et Grão-Pará, dont la capitale était São Luiz (1654 à 1751), et Etat du Grão-Pará et Maranhão dont la capitale était Belém (1751 à 1772). Il a été divisé en Provinces lorsque le Brésil est devenu partie constituante du « Royaume du Portugal et des Algarves » (en 1815). A partir de la Proclamation de la République brésilienne (1889), l’ancien vaste territoire du Grão Pará a été fragmenté en Etats. A propos de l’expression Grão Pará, bien qu’il y ait des controverses sur son origine, la version la plus répandue renvoie au vocabulaire tupi, où «pa’ra » signifie fleuve. Les premiers navigateurs, espagnols et portugais, ont appelé Gran-Pará la zone de rencontre des fleuves Amazone et Tocantins. D’où le nom de la capitainerie du Grão Pará, établie en 1616.

La recherche de richesses a été le principal facteur qui a motivé les Grandes Découvertes, se dédoublant de l’action colonisatrice. Avec cette affirmation, nous ne sommes pas en train de négliger les motivations d’ordre personnel, comme la recherche de prestige, ou religieux. Toutefois, divers facteurs nous autorisent à dire que des intérêts économiques se superposaient aux autres, en apportant les clefs de la compréhension du processus colonisateur. Le colonialisme, en déstructurant les formes d’organisation sociale des habitants natifs, a ouvert le chemin de l’appropriation de ressources jusqu’alors contrôlées par ces communautés.

Pendant la Dynastie d’Avis (1385-1580), le Portugal s’est lancé dans l’expansion maritime. Comme d’autres nations européennes, les Portugais ont été amenés à chercher d’autres chemins commerciaux, principalement à partir de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, qui avait fermé aux Chrétiens le chemin millénaire méditerranéen, dominé désormais par les commerçants arabes et chinois.

Il ne restait plus que l’Atlantique tout entier comme alternative. Le Portugal a été remarquable dans ce travail, pour lequel il n’a pas seulement compté sur d’excellents navigateurs et d’ambitieux monarques, mais aussi sur une structure bâtie sur les richesses véhiculées par le commerce.

En janvier 1500, les explorateurs espagnols, sous le commandement de Vicente Yanez Pinzon, sont arrivés au delta de l’Amazone et en essayant de remonter le fleuve, ont dû faire demi-tour, afin de ne pas courir le risque d’endommager les caravelles.

Daniel Kidder, un pasteur méthodiste qui a parcouru le Brésil au début du XIXème siècle, a fait la description suivante du voyage de Pinzon:

[…] Les Espagnols ont été très bien reçus par les aborigènes, mais ils ont récompensé vilement leur simple bonté, en emprisonnant 30 de ces êtres inoffensifs, pour ensuite les vendre comme esclaves. Pinzon supposait que la terre où il venait d’arriver était une région de l’Inde, située de l’autre côté du Ganges et qui jouxtait la grande ville de Catai. Il a pris possession de cette côte pour la Couronne de Castille […]

(KIDDER, 1972, p. 72)

Toujours en 1500, Diogo de Lepe et Alonso Mendoza auraient aussi parcouru une partie du cours du fleuve. Ainsi, ces Espagnols auraient été les premiers européens à arriver sur des terres qui composent l’Amazonie brésilienne d’aujourd’hui et à naviguer sur le fleuve Amazone, initialement appelé « Sainte Marie de la Mer Douce » par les Espagnols.

Néanmoins, dans l’ouvrage commémoratif du premier centenaire de l’Indépendance du Brésil, coordonné par Carlos Malheiro Dias, la primauté des Espagnols est niée. Ceci car la politique du secret pratiquée par le Portugal, et non par l’Espagne, n’autorise pas que s’établisse avec précision l’antériorité de la présence espagnole dans ces contrées. On pense donc que les Portugais avaient déjà fait quelques incursions par l’Atlantique sud, avant l’expédition de Cabral, en 1500.

Francisco Orellana, en 1542, a réussi à parcourir tout le grand fleuve. Ayant été attaqué par de féroces Indiens à cheval et parés d’ornements féminins soi-disant offerts par des femmes amazoniennes, il a appelé le cours d’eau « Fleuve des Amazones ». Etymologiquement, le terme « Amazone » signifie « sans poitrine » en référence à la légendaire coutume des femmes qui s’enlevaient un sein pour mieux manier l’arc. Le mythe des Amazones remonte au passé gréco-romain, quand poètes et écrivains narraient des histoires de guerrières qui vivaient à l’écart des hommes.

 

Dans le prochain texte, je vais poursuivre le récit historique, en relevant les singularités qui caractérisent l’Amazonie, et en soulignant les rapprochements et les écarts qui sont présents dans l’imaginaire et dans la réalité, ce qui nous crée très souvent de grandes difficultés pour trouver les limites entre les deux.