L’Amazonie de Jules Verne revisitée

 

Dans mon récent voyage en Amazonie, je n’ai pu m’empêcher de me remémorer quelques pages de La Jangada – Huit cents lieues sur l’Amazone, de Jules Verne. J’ai probablement fait un voyage qui m’a rajeunie, penseront ceux qui voient en cet auteur un écrivain « pour la jeunesse ». Sans doute (c’est d’ailleurs le propre de chaque déplacement réussi) ! Mais cela va bien plus loin. Car, sans être fanatique de science-fiction, multiples sont les raisons qui me rendent admirative de celui qui, selon Michel Fournier, est à coup sûr le « plus grand écrivain géographe de notre littérature ».

 

Publié en 1881, ce roman policier est probablement l’un des moins connus des 68 volumes qui composent ses Voyages extraordinaires. Et pourtant… que de belles pages de « merveilleux exotique », mêlé à cette « poésie de la science » qui sait rendre attrayantes les matières les plus rébarbatives !

 

Ce site web n’étant pas consacré à la critique littéraire proprement dite, je souhaite uniquement saluer le talent empreint d’audace de cet écrivain, qui a su changer le paysage littéraire, en faisant cohabiter vérités scientifiques, mystère, poésie, fiction. Et qui, tout au moins en tant qu’auteur passionné par la quête de connaissance, a estimé que seul le croisement des savoirs, fût-t-il inattendu, pouvait faire avancer la recherche de façon cruciale, voire même vitale. La lecture ou relecture de Jules Verne reste donc, me semble-t-il, d’actualité : un bain de clairvoyance à tout égard ! Car au XXIème siècle, et en France comme ailleurs, la médiocrité et la bêtise se déguisent encore parfois derrière une certaine érudition, pour mieux faire la guerre à l’esprit critique et à l’intelligence. Les soldats pour la défense de ce savoir carré, exclusif et donc infime, ne manquent pas, les machines guerrières non plus. Beaucoup d’intolérance, d’agressivité et d’abus de pouvoir : images tristes qui se reproduisent à chaque génération. On a donc toujours besoin de Jules Verne et de son esprit visionnaire… serait-ce l’une des raisons qui expliquent qu’il reste l’auteur de langue française le plus traduit dans le monde ?

 

En lisant La Jangada, une question se pose inévitablement : n’étant jamais parti en Amérique du Sud, quelles ont été les sources de documentation de Jules Verne pour pouvoir établir, de l’Amazonie, une description aussi minutieuse ?

 

Quelques recherches bibliographiques montrent, en effet, que d’autres auteurs s’étaient déjà intéressés à la région amazonienne. Savants ou aventuriers, nombreux sont ceux qui, à partir du XVIIIe siècle, entreprennent des explorations audacieuses dans cette région.

Ainsi, en 1735, un groupe de scientifiques français part aux frontières entre le Pérou et le Brésil, afin de participer à mission géodésique qui devait contribuer à déterminer si la terre était parfaitement sphérique (hypothèse de Cassini) ou aplatie aux pôles (hypothèse de Newton). À son retour en France, en passant par Cayenne, l’un de ces académiciens devient le premier scientifique à avoir descendu l’Amazone. Il s’agit de Charles-Henri de la Condamine, qui publie, en 1745, le récit de son expédition amazonienne.

D’autres explorateurs, géographes, historiens, comme Jules Crevaux, Elisée Reclus, Ferdinand Denis, rassemblent aussi, dans certains de leurs ouvrages ou articles, d’importants renseignements sur l’Amazonie et, plus généralement, sur le Brésil. La « Revue des deux mondes », fondée en 1829, contribue également à véhiculer des informations diverses sur ces espaces « exotiques ».

A leur tour, Émile Carrey, Paul Marcoy, Adolphe d’Assier, François-Auguste Biard, publient eux aussi, peu de temps avant Jules Verne, des récits de voyage au Brésil, qui ne présentent cependant pas la qualité littéraire de La Jangada.

 

Sans prétendre à l’exhaustivité, il semblerait qu’un autre ouvrage ait inspiré notre écrivain. Il s’agirait du récit de voyage écrit, en portugais, par le péruvien José Manuel Valdéz y Palacio, publié à Rio de Janeiro dans les années 1840. Contraint de quitter son pays pour des raisons politiques, ce dernier y raconte sa fuite sur un radeau en troncs de bois (« jangada », en portugais) le cours de l’Amazone, depuis Cuzco jusqu’à Belém, au Brésil. Dans La Jangada, il s’agit également de la descente d’un gigantesque radeau le long de l’Amazone, depuis Iquitos, au Pérou, jusqu’à Belém. Vrai village flottant construit selon la technique indigène, la « jangada » héberge la famille Garral et ses serviteurs. Ils se déplacent vers la capitale du Pará pour, entre autres, y marier la jeune Minha Garral au médecin… Manoel Valdez ! Le déchiffrement d’un cryptogramme servira de fil conducteur à l’histoire et ajoutera le raisonnement rationnel, en l’occurrence mathématique, aux autres perceptions de la réalité qui y figurent. Jules Verne lirait-il alors la langue portugaise ? Aurait-il plutôt connu l’auteur de ce récit, susceptible d’avoir fait quelques études à Paris ? Il se peut, en tout cas, que La Jangada ait été une sorte d’hommage de l’écrivain français au courage de l’auteur péruvien.

 

Le but de mon texte n’est pas de raconter en détail l’intrigue du livre.

Si quelques principes éthiques y sont le reflet d’une époque et orientent l’histoire des personnages (blancs, noirs et indiens), il convient de signaler que l’auteur y soulève avec sensibilité le problème de l’esclavage (encore en vigueur au Brésil en 1881), qu’il avait déjà condamnée dans Aventures de trois Russes et de trois Anglais dans l’Afrique australe (1872) et surtout dans Un capitaine de quinze ans (1878). Je ne commenterai pas la vision eurocentrique du « progrès » qui parfois se dégage dans La Jangada, selon laquelle le métissage des populations rendrait inévitable la disparition des Indiens, et, plus généralement, de toutes les races non-occidentales. Même les esprits les plus clairvoyants sont malgré tout prisonniers d’un Temps.

 

Mon propos est de choisir et de partager quelques extraits de La Jangada (peu nombreux, pour ne pas me substituer au livre ni alourdir ma page), où les descriptions de l’Amazonie m’auront semblé frappantes par rapport à la réalité vue, 131 ans après sa publication. Le génie de Jules Verne réside sans doute également dans le fait d’avoir su saisir, par l’écriture, ce croisé de la géographie réelle et de la géographie imaginaire où se situe la géographie appréhendée, la seule probablement existante pour chacun d’entre nous. Et cela sans oublier, déjà à son époque, de mettre l’accent sur le respect fondamental que l’on doit au plus vaste écosystème du monde. J’ajouterai mes propres photos et vidéos, toutes datées du mois d’août 2012, qui, dans leur plus ou moins grande imperfection, illustrent la fascination et les tremblements suscités en moi par la région amazonienne. Jointes aux mots, pour, je l’espère, un double plaisir des yeux des lecteurs, elles nourriront encore d’autres imaginaires… et alors peut-être, le temps de quelques instants, un sentiment de bonheur. C’est à quoi devrait mener la quête de connaissance, suggère Jules Verne. Et moi de même !

 

  • Extraits choisis : Jules Verne, La jangada – Huit cents lieues sur l’Amazone,
    Monaco, éditions Alphée « Le Serpent à plumes », 2005.

 

« Sur la gauche, rien de plus pittoresque que cette forêt inondée, qui semblait avoir été plantée au milieu d’un lac. Les fûts des arbres sortaient d’une eau tranquille et pure, dans laquelle tout l’entrelacement de leurs rameaux se réfléchissait avec une incomparable pureté. Ils eussent été dressés au-dessus d’une immense glace, comme ces arbustes en miniature de certains surtouts de table que leur réflexion n’eût pas été plus parfaite. La différence entre l’image et la réalité n’aurait pu être établie. Doubles de grandeur, terminés en haut comme en bas par un vaste parasol de verdure, ils semblaient former deux hémisphères, dont la jangada paraissait suivre un des grands cercles à l’intérieur ».

 

 

 

 

 

« Mais aussi, à fleur d’eau, se glissaient de longues et rapides couleuvres, peut-être quelques-uns de ces redoutable gymnotes, dont les décharges électriques, répétées coup sur coup, paralysent l’homme ou l’animal le plus robuste et finissent par le tuer. »

« Il fallait y prendre garde, et plus encore, peut-être, à ces serpents « sucurujis », qui, lovés au stipe de quelque arbre, se déroulent, se détendent, saisissent leur proie, l’étreignent sous leurs anneaux assez puissants pour broyer un bœuf ».

« […] il faut respecter les serpents […] parce qu’ils mangent les insectes nuisibles et ceux-ci parce qu’ils vivent de pucerons, plus nuisibles encore ! À ce compte-là, il faudrait tout respecter ! »

« En vérité, la lumière, dans ces forêts tropicales, ne semble plus être un agent indispensable à leur existence. L’air suffit au développement de ces végétaux, grands ou petits, arbres ou plantes, et toute la chaleur nécessaire à l’expansion de leur sève, ils la puisent, non dans l’atmosphère ambiante, mais au sein même du sol, où elle s’emmagasine comme dans un énorme calorifère. »

 

 

 

 

« Là, le fleuve se divisait en deux bras importants qu’il tendait vers l’Atlantique : l’un courait au nord-est, l’autre s’enfonçait vers l’est et, entre eux, se développait la grande île de Marajó. C’est toute une province que cette île. Elle ne mesure pas moins de cent quatre-vingts lieues de tour. Diversement coupée de marais et de rios, toute en savanes à l’est, toute en forêts à l’ouest, elle offre de véritables avantages pour l’élevage des bestiaux qu’elle compte par milliers. »

 

 

 

 

« […] la jangada descendait toujours. Ici, elle rasait, au risque de s’y accrocher, ces griffes de mangliers, dont les racines s’étendaient sur les eaux comme des pattes de gigantesques crustacés ; là, le tronc lisse des palétuviers au feuillage vert pâle »

 

 

 

 

 

 

« On vit alors le confluent de Tapajoz, aux eaux d’un vert gris, descendues du sud-ouest ; puis Santarem, riche bourgade où l’on ne compte pas moins de cinq mille habitants, Indiens pour la plupart, et dont les premières maisons reposaient sur de vastes grèves de sable blanc. »

 

 

 

 

                                  (Abraço especial aos meus amigos de Santarém)

 

 

Il convient de préciser que, en 2012, la ville de Santarém est habitée par 300 000 habitants environ, toutes ethnies confondues. L’Université est fréquentée par approximativement 8000 étudiants, avec une augmentation de 1300 étudiants par an en moyenne. Les vastes plages de sable blanc existent toujours, pour le plus grand plaisir de la population et de leurs visiteurs privilégiés.

Distance de Santarém aux principales villes brésiliennes :

 

 

 

 

Je me permets d’ajouter un renseignement qui aurait certainement fait plaisir à Jules Verne, s’il pouvait l’écouter. Dido, mon guide dans la visite de la réserve indienne de Tapajós (organisé grâce à des autorisations spéciales), m’explique le bon développement de ses tribus dans cette région de l’Amazonie : leur communauté, constituée au début par trois familles, se compose actuellement de 24 familles et 106 personnes. Elle s’appelle « Jamaraquá », du nom d’une plante qui aidait les Indiens à soigner les morsures de serpent et qui entourait autrefois la maison de sa mère. Je salue cet homme sensible et d’intelligence vive.

 

 

 

 

Dans le cœur de Dido, le président Lula : le premier, me dit-il, qui s’est vraiment occupé du sort des Indiens.
 

 

 

 

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