Amerigo Vespucci  – Mundus Novus & Troisième navigation (Le Brésil, 1501-1502)

Peu nombreux sont ceux qui savent que l’Amérique doit son nom à Amerigo Vespucci.

Dans sa Cosmographie, publiée en 1507, le géographe allemand Waldseemüller baptise effectivement le nouveau continent « Amérique », croyant, à tort, que le navigateur florentin avait été le premier à découvrir ces nouvelles terres, lors de son expédition, en 1499, sur la côte du Venezuela. Il n’était pas encore informé des voyages de Christophe Colomb, arrivé aux Antilles en 1492. Malgré la rectification de son erreur quelques années plus tard, cette appellation s’impose à la fin du XVI^e siècle.

En 1501-1502, après la découverte du Brésil en 1500 par Cabral, Amerigo Vespucci accomplit un voyage de reconnaissance du Nord au Sud de la côte du Brésil, pour le compte du monarque portugais dom Manuel I.

Nous devons à sa Lettre sur le Nouveau Monde, publiée à Florence vers 1504, l’appellation de ce monde dont il a su reconnaître la nouveauté. Avant les récits des auteurs français que nous aborderons par la suite, le texte de Vespucci a connu un succès extraordinaire en toute l’Europe.

« Ces derniers jours, je me suis suffisamment tendu dans mes lettres sur mon retour depuis ces régions nouvelles que, grâce à la flotté, à l’argent et au mandat confiés par le Sérénissime Roi du Portugal, nous avons recherchées et découvertes ; il nous est permis de les appeler le Nouveau Monde, puisqu’on n’en eut chez nos ancêtres nulle connaissance, et que c’est là chose absolument nouvelle pour ceux qui en entendent parler, et qui dépasse les estimations de nos anciens, lesquels disent pour la plupart qu’au-delà de la ligne de l’équinoxe, et vers les sud, il n’y a pas de continent, mais seulement une mer qu’ils appelèrent « Atlantique » ; et s’il y en eut pour assurer qu’il y avait là un continent, ils refusèrent, pour bien des raisons, que ce fût une terre habitable.

Mais que cette opinion fût fausse et absolument contraire à la vérité, ce tout dernier voyage, que je viens de faire, l’a prouvé, puisque j’ai découvert dans ces contrées du Sud un continent plus riche en populations et en animaux que notre Europe, ou que l’Asie, ou que l’Afrique, et doté, en outre, d’un air plus tempéré, plus agréable qu’en aucune région connue de nous […]

Cette partie du nouveau continent est située dans la zone torride, au-delà de la ligne de l’équinoxe, en direction du pôle Antarctique […] Nous nous approchâmes du cercle de l’Antarctique proprement dit à 10°7’. Ce que nous vîmes là, ce que nous apprîmes de ces peuples, de leurs mœurs, de leurs façons d’être, de la fertilité de la terre, de la salubrité de l’air, des corps célestes, et surtout des étoiles fixes de la huitième sphère jamais vues de nos ancêtres, ou jamais étudiées par eux, je vais successivement l’exposer.

Qu’en est-il tout d’abord des hommes ? […] Ils ont le corps imposant, bien taillé, bien proportionné, d’une couleur qui tire sur le rouge. Cela tient, selon moi, à ce que, allant nus, ils sont teints par le soleil. Ils portent une chevelure longue et sombre. Ils sont, dans leur démarche, agiles et gracieux. Leur figure est agréable, mais ils s’emploient eux-mêmes à la ravager. Ils se trouent en effet joues, lèvres, narines et oreilles. Ne croyez pas que ces trous soient petits ou qu’ils n’en portent qu’un. J’en ai vu qui, sur le seul visage, portaient jusqu’à sept trous, tous de la taille d’une prune. Ils les obturent avec de magnifiques pierres azurées, du marbre, des cristaux, de l’albâtre, avec des os d’une extrême blancheur, et des objets qu’ils travaillent avec art, selon leur coutume. […] Cette coutume est réservée aux hommes : les femmes ne se perforent pas la figure, mais seulement les oreilles. Il est chez eux une autre coutume et qui dépasse les limites de la cruauté humaine : sensuelles comme elles le sont, les femmes font grossir le sexe de leurs maris jusqu’à lui donner, par des procédés à elles, et en le faisant mordre par des animaux venimeux, une dimension affreuse, ignoble. Beaucoup perdent ainsi leur sexe, qui pourrit par défaut de soins, et demeurent eunuques. Ils […] ne possèdent aucun bien propre ; ils mettent tout en commun et vivent ensemble sans roi ni autorité : chacun y est son propre maître. […] Ils défont leurs mariages aussi souvent qu’ils le veulent et n’observent aucune règle dans ce domaine. Ils ne possèdent en outre ni temples ni lois, mais ils ne sont pas idolâtres. Que dire de plus ? Ils vivent selon la nature, et peuvent être dits épicuriens plutôt que stoïciens.

Il n’est chez eux ni marchands ni commerces. Les peuples se font la guerre sans doctrine ni règles, […] où ils s’entretuent avec beaucoup de cruauté ; les prisonniers qu’ils ramènent, ils les gardent afin de les exécuter non pour leur retirer la vie mais pour s’assurer leur propre subsistance. Ils se mangent en effet entre eux : les vainqueurs mangent les vaincus et la chair humaine est chez eux nourriture commune. […] J’irai plus loin : ils s’étonnent que nous ne mangions pas nos ennemis et que ne fasse pas partie de nos nourritures une telle chair, qu’ils disent des plus savoureuses. […] Quant à nous, nous nous sommes efforcés, autant que nous l’avons pu, de les sermonner, de les détourner de ces mœurs dépravées, et ils promirent d’y renoncer. […]

La terre de ces régions est particulièrement fertile et agréable […] et s’il est en quelque endroit de la terre un Paradis terrestre, je pense qu’il n’est pas éloigné de ces régions dont l’emplacement méridional est dans une zone d’air tellement tempéré qu’il n’y a jamais là hivers glacés ou étés brûlants  […]»

(Pour lire cette lettre dans son intégralité : La découverte du Brésil, Paris, éditions Chandeigne, 2000)

Terre paradisiaque, donc, celle qui nous est décrite de manière romanesque par Amerigo Vespucci. Monde nouveau habité par la figure hybride de l’Amérindien innocent et cruel à la fois, dépravé et épicurien, qui néanmoins, par les vertus qu’il incarne, annonce déjà le mythe du « bon sauvage ».

Nous le verrons, d’autres textes reprendront plus tard, en les corrigeant ou les développant, ces premières descriptions du Nouveau Monde. Si elles sont fondées sur les règles d’acceptabilité de l’époque, donc sur un discours hégémonique, cela n’enlève rien à la valeur inestimable de ces premiers témoignages qui fixent les instants inauguraux de la rencontre des Européens avec une réalité insolite, qui fera basculer une multitude de leurs repères.