« Mas que nada »

Certaines chansons échappent à leurs auteurs, car elles deviennent indépendantes de ces derniers.

Effectivement, à partir du moment où elles constituent des pratiques d’oralité par excellence, les chansons sont inévitablement « condamnées » à la répétition et à la multiplication des interprétations. Derrière le visage d’un nouveau chanteur s’efface parfois l’auteur initial.

Si, par ailleurs, chanson et musique sont associées à un film ou à un dessin animé, on assiste clairement à un déplacement de support et parfois à l’effacement aussi bien de son créateur que des interprètes ultérieurs.

C’est le cas de quelques chansons brésiliennes, reprises par des jazzmen américains de renom ou introduites dans des films ou animations à succès concernant le Brésil. Aussi deviennent-elles presque des « mythes », si l’on suit l’idée esquissée par Lévi-Strauss dans ses Mythologiques. Car, au long du temps, elles sont adoptées sur le « mode collectif », par une société donnée…

De même pour certaines images…

Lorsqu’un enfant, bien peu soucieux de toute théorisation savante autour d’un tel concept, arrive néanmoins à l’illustrer sans le moindre effort, le résultat peut être purement délicieux…

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=wfYrQLheudo&feature=youtu.be

La chanson associée par notre artiste en herbe à l’image « mythique » du Corcovado mérite que l’on s’y attarde encore quelques instants.

« Mas, que nada ! », qui, dans le texte en question, peut être traduit en français par « Mais non, tu as tort ! », est une chanson écrite en 1963 par le brésilien Jorge Ben. Cette première version est accompagnée dans la vidéo suivante (qui transcrit le titre de façon phonétique) par une succession d’images qui rappellent intelligemment le contexte des années 60 :

 

 

La chanson a connu d’emblée le succès au Brésil. La dictature militaire qui commença en 1964 ralentit cependant la carrière de son auteur, qui est entre-temps invité à changer de nom. Georges Benson étant devenu, à la même époque, un chanteur et compositeur de jazz américain reconnu, Jorge Ben transforme son nom de scène en Jorge Ben Jor.

En 1966, la reprise savoureuse de « Mas que nada » par Sérgio Mendes (au piano sur la vidéo qui suit ; ne pas rater son sourire de la fin) transforme cette chanson en « tube » mondial :

 

 

C’est en 2011 que RIO, film américano-brésilien pour les grands et les petits, sort sur nos écrans.

Choisie comme l’une des trois chansons traduites et interprétées pour la version française du film, « Mas que nada » confirme alors son statut de « mythe »…
C’est tout au moins ce qui semble nous prouver Bertille, deux ans après la sortie du film, en « paraphrasant » sans le savoir, du haut de ses cinq ans, le beau vers du grand Pessoa dans son recueil Message (Mensagem, en portugais):

 

«  Le mythe est le rien qui est tout »

(« O mito é o nada que é tudo »)