Le nom de Stefan Zweig est à jamais lié au Brésil.
Refuge politique au moment où, dans une Europe déchirée par la Guerre, on prônait la supériorité raciale et culturelle des Blancs purs de toute mixité raciale, le Brésil a représenté pour ce grand écrivain une solution de paix au-delà des différences d’ethnies ou de convictions.
Même si la sociabilité brésilienne a souvent été idéalisée par Zweig, c’est bien, selon ses propres termes, dans cette « terre d’avenir », « regorge[ant] de beauté et de générosité », que, loin de la gangrène qui rongeait l’Europe, il a réussi à éprouver un « sentiment libérateur ».
Rien n’a cependant éteint la souffrance intérieure de l’écrivain, née de l’anéantissement, qu’il croyait certain, de son « Monde d’hier »…
« La Femme silencieuse » marque justement la transition entre ses deux mondes…
*****
Novembre 1931
Agé de 50 ans, Stefan Zweig est au sommet de sa gloire.
C’est déjà l’un des auteurs les plus traduits dans le monde. Freud le place au-dessus de Dostoïevski. Homme libre à l’esprit éclairé, Zweig est souvent en proie au doute et à cette « inquiétude intérieure » qui le ronge et justifierait en partie son goût pour les voyages. Épris de l’Europe et de sa richesse culturelle, il partage l’humanisme et les idéaux paneuropéens de son ami Romain Rolland, écrivain français lauréat du prix Nobel de la littérature en 1915, grand connaisseur de la culture allemande.
Richard Strauss, 67 ans, est le musicien le plus célèbre d’Allemagne.
Pour ce pays, qui avait perdu la Première Guerre mondiale, ce compositeur incarne ce qui restait de sa fierté et de sa gloire passées.
Ces deux artistes se vouaient une admiration réciproque sans jamais s’être rencontrés.
A la suite du décès brutal d’Hofmannsthal, l’auteur des livrets d’opéra qui ont fait la renommée de Strauss, le compositeur allemand décide de faire appel à Stefan Zweig.
Commence alors, en cette fin d’année 1931, une collaboration entre ces deux génies, qui, dans leur histoire, et par le hasard heureux et tragique du sort, va s’enrober de la signification polysémique que l’Histoire lui a ensuite transmise.
« La Femme silencieuse » est le nom de l’opéra bouffe né de cette rencontre.
Cet évènement marquant dans la vie des deux hommes est, curieusement, peu connu du grand public. Raison pour saluer une fois de plus la pertinence de Ronald Harwood, dont on ne peut oublier l’adaptation au cinéma du roman The Pianist, de Roman Polanski (l’Oscar du meilleur scénario en 2003). Avec le non moins grand metteur en scène George Werler, ils donnent vie à la pièce de théâtre Collaboration, à laquelle j’ai eu le privilège d’assister il y a un mois environ, au Théâtre de la Madeleine à Paris. Les rôles de Stefan Zweig et Richard Strauss y sont magistralement interprétés par Didier Sandre et Michel Aumont.
Sans être du côté de la biographie, le scénario de Collaboration s’appuie rigoureusement sur les archives et documents historiques concernant la relation entre ces deux artistes. Le thème central de la pièce est donc fondé sur un fait bien réel : après la création de « La Femme silencieuse », achevée par Strauss fin 1933, leur collaboration, qui devait être à l’origine d’autres chefs-d’œuvre, est mise à mal par la montée de l’antisémitisme dans le monde germanique…
En dehors d’un remarquable jeu d’acteurs (masculins et féminins), une multiplicité de réflexions nous envahit et bouleverse tout au long de cette mise en scène passionnante, où aucun parti pris n’est jamais suggéré.
Aussi un questionnement qui peut sembler secondaire par rapport aux enjeux de l’Histoire a-t-il le mérite d’être proposé : comment un sentiment fort, né chez quelqu’un d’âge mûr qui se croyait à l’abri de telles « fragilités », peut infléchir le cours de sa vie ? S’agissant de quelqu’un de célèbre, à quel point une telle occurrence peut nuancer le cours de l’Histoire… ou tout au moins les jugements souvent implacables que celle-ci en délivre à la postérité ?
Imbriqué à ce sentiment, devenu incontournable chez les deux personnages majeurs de la pièce, un deuxième dilemme semble les tarauder, au fil de l’évolution de leur propre histoire : l’Art, dans tous les sens du terme, peut-il être au-dessus de la politique, du pouvoir et des règles sociétales ?
On est donc amené à s’interroger sur la frontière entre l’œuvre d’art et l’homme qui lui rend vie. N’y aurait-il pas toujours un moment où le cocon artistique le plus soyeux se briserait à l’encontre de la dureté du réel ? Existe-t-il réellement un Art « non engagé » ?
Attardons-nous donc quelques instants sur les personnages de ces deux immenses artistes.
Michel Aumont incarne, au tout début de la pièce, un Richard Strauss qui semble traverser son époque sans vraiment se soucier de ce qui l’entoure. Un homme qui reconnaît ne pas être un sentimental et pour qui le travail est le seul antidote contre toutes les tragédies : discipline, concentration et méthode, voilà son mode de vie quelles que soient les circonstances. La Première Guerre n’avait pas affecté outre mesure celui pour qui « la musique n’avait que faire des régimes politiques ». Pas d’exaltation, pas de dépression ni de désespoir. Les seuls instants où le personnage de Strauss se dit désespéré sont donc ceux où il est désœuvré. Cela explique son empressement presque puéril envers les textes de l’écrivain. C’est que le travail urge pour cet homme… d’autant plus que l’Histoire semble prendre à nouveau une tournure peu rassurante, avec la montée du nazisme…
Le personnage de Zweig nous est ici présenté aux antipodes de celui du compositeur. Réservé et hypersensible, admirateur profond de Strauss, dont la créativité imperturbable le déconcerte, il vit jusqu’au dégoût épidermique la violence politique qu’il pressent dès 1933. En proie à la conscience précoce du « poison » qu’il sent se répandre irrémédiablement en Europe, l’écrivain se croit incapable de continuer à écrire… Pour la première fois, sa croyance en l’art qui demeure au-delà de la politique est ébranlée… Strauss ne partage pas son avis. Selon le compositeur, seule une grande œuvre, un opéra de prestige peut constituer une réponse à la « folie » ambiante.
Ces deux personnages sont pourtant loin d’être linéaires : leur complexité va subtilement se dessiner à partir du moment où, contre toute attente, une vraie amitié commence à les unir.
Leur Correspondance. 1931-1936, éditée par Flammarion en 1994, montre qu’une amitié bouleversante a réellement lié ces deux hommes que tout semblait séparer… à part la conscience du chemin parcouru et du privilège ainsi acquis d’être « citoyens du monde ».
Richard Strauss qui, semble-t-il, se livrait avec effort et n’avait jamais éprouvé le besoin d’amis intimes, a donc dû faire face, au crépuscule de sa vie, au déchirement de sa coquille de protection, que sa notoriété renforçait. Jusque-là indifférent aux décisions enflammées du monde, dans un mixte de conscience (de sa gloire) et d’inconscience (face aux enjeux politiques du moment), il va néanmoins se montrer capable d’indignation et de courage. C’est ainsi que le 24 juin 1935, lors de la création mondiale, au Hoftheater de Dresde, de « La Femme silencieuse », le compositeur exige que le nom censuré de son ami juif figure à côté du sien sur les affiches. Strauss était à ce moment-là Président de la Chambre de musique du Reich…
Compte tenu du retentissement mondial d’un nouvel opéra de Strauss, Hitler acquiesce à sa demande. Mais il annulera sa venue et fera retirer l’opéra de l’affiche trois jours après sa représentation. Le compositeur est alors accusé de s’être compromis avec les artistes « dégénérés » et doit démissionner de son poste…
Quant à Stefan Zweig, il décide, dès 1934, de prendre le chemin de l’exil. Dans cette pièce de théâtre, c’est lui qui persuade Strauss du danger d’une éventuelle collaboration secrète que le musicien s’entête désespéramment à vouloir mettre en place. En réalité, et malgré l’ambiguïté politique que son acte semble receler, l’écrivain sera derrière deux nouveaux opéras signés du nom de l’« aryen » Joseph Gregor, ami de Zweig. En 1936, Richard Strauss accepte à son tour de composer la musique de l’inauguration des Jeux olympiques de Berlin. Il est « lavé » par le régime nazi, qui utilise amplement sa renommée internationale pour déjouer les attaques des intellectuels exilés. Comportement douteux aux yeux de l’Histoire… d’autant plus qu’un fait relevant de l’histoire personnelle de cet homme est parfois négligé. Cette pièce se charge de le mettre en lumière : en échange des services rendus au Reich, la belle-fille et les petits-enfants juifs de Richard Strauss ont le droit de survivre…
Stefan Zweig, retiré au Brésil depuis 1940, ne croyant plus à l’avenir de l’Europe et ne pouvant s’y résigner, se donne la mort le 22 février 1942. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Strauss est jugé dans le cadre des procès de dénazification. On l’accuse d’avoir collaboré.
Si l’émotion du spectateur est vive tout au long de cette pièce qui court sur dix-sept ans, le climax est sans doute atteint lors de l’acte final, où ce pan de la vie du compositeur est joué.
Par la voix affaiblie de Strauss/Aumont, toutes les réflexions esquissées prennent soudain forme, avec une justesse imparable. Se pose alors, à mon sens, la question majeure de cette pièce : hier comme aujourd’hui, face à un Système gangrené par l’abus de pouvoir, qui pourra prétendre savoir réellement s’il résiste… ou s’il collabore ? Si tel autre résiste… ou si tel autre collabore ?
Munich, 1948. Lumière sur deux chaises. Strauss et Pauline [son épouse] entrent.
[…]
« Qu’auriez-vous fait à ma place ? […] J’étais obligé de protéger ma famille. Je n’en ressens pas de honte. Mes motivations n’étaient peut-être pas pures, mais elles étaient humaines. […] Pour ma défense, bien que je trouve humiliant de devoir me justifier de cette manière, je voudrais attirer votre attention sur ma collaboration avec mon collègue juif, Stefan Zweig. Quand j’ai appris son suicide au Brésil… (Il s’effondre) Quelle effroyable, effroyable tragédie. Un tel génie. Comment a-t-il pu faire une chose pareille ? Il avait un talent rare et merveilleux. C’était le plus admirable des êtres. Si nous nous dirigeons vers un monde meilleur, il aurait dû en être l’un des créateurs. Les hommes de son intégrité se comptent sur les doigts… (Il s’arrête) Je… J’aimais cet homme. (Il essaye de se maîtriser) Avoir bu ce poison, c’est une ignoble trahison. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Il détestait la violence, n’est-ce pas violence que s’être tué ? […] (Soudain violent) Vous m’accusez d’avoir collaboré ? Et Zweig, alors ? […]
Vous croyez qu’ils n’avaient pas envie d’ajouter un Juif de plus aux millions qu’ils ont tués ? Bien sûr qu’ils voulaient sa mort. Et il s’est incliné. Il a obtempéré. Oui, c’est lui le… »
Il sanglote. Pauline fait ce qu’elle peut pour le consoler. La musique continue.
La musique continue… La nature humaine aussi.
À méditer, donc…
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