Quand on recherche les origines du Carnaval, la première constatation est qu’il y a toujours eu des festivals de danse, de chant, caractérisés par l’abus d’alcool et par un état de transe dans pratiquement tous les peuples, que ce soit dans l’Antiquité ou dans les peuples primitifs de tous les continents.
Les romains les nommaient saturnales, tout le monde y participait, même les esclaves. De telles fêtes impliquent l’utilisation de déguisements et de travestissements dans le but que les participants s’amusent à être ceux qu’ils ne sont pas dans leur vie de tous les jours. La vie civile cessait, le travail était suspendu.
Il parait donc que c’est ce trait d’inversion qui fait la caractéristique commune de toutes les festivités de Carnaval.
Il s’agit donc d’un rituel, dont certains y ont vu une espèce de soupape de sécurité pour la pression sociale qui agit sur tous les acteurs de la vie collective.
Les origines les plus éloignées du Carnaval sont indubitablement païennes.
Cette tradition avait une grande force, peut-être aussi à cause de l’importance de sa fonction d’équilibre pour la paix sociale. La chrétienté, même contre ses principes, finit par la respecter et ne plus lui y être hostile.
Le triomphe baroque
Dans le Brésil de l’époque coloniale, le ‘triunfo barroco’, défilé festif à travers les rues était une scène commune.
Cela existait déjà dans les républiques italiennes de la Renaissance, où il était apparu cette vogue de l’antiquité.
C’était une réminiscence du triomphe romain qui était une cérémonie militaire destinée à montrer au peuple sous forme de spectacle, ce qui c’était passé lors d’une guerre récente.
Au Portugal, et comme conséquence dans la colonie qu’était le Brésil, c’était la marque de l’absolutisme.
L’Etat absolu se donnait en public, montrant d’une manière ostentatoire, c.à.d. avec une mise en valeur excessive, son pouvoir et son opulence.
Les cortèges étaient hétéroclites, cohabitaient le sacré et le profane, la musique, la danse, les déguisements, ni vraiment seulement procession ni fête laïque.
Avec l’installation de la Cour du Portugal à Rio en 1808, suite à l’invasion de ce pays par les troupes napoléoniennes, plusieurs fêtes annuelles avec un luxe encore inégalé furent instaurées par Dom João VI.
Musique : Anita Garibaldi (Ecole Unidos de Viradouro)
Les fêtes africaines
La participation de danses africaines dans les triomphes baroques pouvait s’étendre normalement aux processions catholiques. Un des premiers romans sur la société brésilienne de l’époque du roi dom João VI à être écrit et publié, Memórias de um sargento de milícias, de Manuel Antonio de Almeida, montrait déjà un rancho de bahianaises parfaitement intégrées, et sans étonnement, à un cortège religieux d’une procession à Rio de Janeiro, a Procissão dos Ourives (la procession des orfèvres). Il décrit comment les mouvements et les habits des bahianaises étaient si enchanteurs que les passants courraient de rues en rues pour les voir. Une autre fête religieuse, peut-être celle de plus grand prestige dans le Rio du XIXème siècle était le Divino Espírito Santo, aussi décrite par cet auteur. Les blancs et les noirs participaient à cette fête. Parmi les nombreuses fêtes habituelles du temps de la colonisation, ressortant par leur taille, leur influence dans ce que sera le futur Carnaval, une fête, celle des congos, qui étaient des danses dramatiques complètes et parfaites, incarnées par des cortèges d’esclaves, chantant, jouant d’un instrument, avec déjà un enredo. Les congos révélaient les efforts des africains pour s’organiser et conquérir une visibilité dans l’espace de la cité. Déjà constatées au Portugal avant la découverte du Brésil, les fêtes africaines comportaient aussi bien des rois que des confréries. La plus répandue, aussi bien au Portugal que dans la Colonie, sera celle de Nossa Senhora do Rosário dos Homens Pretos, Notre Dame du Chapelet des Hommes Noirs. Au Portugal, ces fêtes étaient incorporées au triomphe baroque. Dans la coutume d’ostentation du pouvoir marqué par l’opulence des cortèges, il y avait un espace pour les chants et les danses des noirs : l’avilissement des africains aux européens faisait partie intégrante du triomphe et de sa signification politique.
Au Brésil, ces divertissements resteraient liés à l’élection d’un roi Congo et de sa reine, couronnés par un prêtre, parfois même dans une église et cela malgré son caractère païen. Ensuite, les rois et leurs sujets sortaient, dansant dans les rues. En fait, le Congo contribuera à l’organisation de la communauté. La présence d’un roi noir catholique sera obligatoire dans la congrégation. L’on peut y voir le vestige de la conversion pacifique du premier monarque congolais, à se baptiser comme le roi D. João I et à se vassaliser au Portugal en 1491, ses successeurs adoptant des noms portugais. Dans le Congo, comme dans le déroulement d’une bataille, le roi noir catholique vainc l’ennemi païen lui aussi noir. C’était la conception d’alors de la Guerre Juste, typique de la Contre-Réforme selon laquelle, le sauvetage de l’âme du païen justifiait automatiquement toute guerre contre lui. Dans le Congo, c’était la légitimation de la conquête et de la colonisation, donc de l’esclavage. Pendant la période coloniale, il existait d’autres cortèges dansants et chantants comme les maracatus (qui ne comportaient pas d’enredo – d’intrigue), les moçambiques. Les amusements africains étaient variés, allant de la roda de samba ou umbigada, des congos, des maracatus, des moçambiques ou des cérémonies d’origines religieuses comme le candomblé. Tout cela était réinterprété selon l’époque et les transformations de la société. La période républicaine, avec l’émancipation des esclaves amènera la plus grande transformation, voyant surgir à Rio le carnaval urbain des noirs, la samba et l’école de samba.
Musique : Soberana – (Wilson das Neves)
Du Portugal au Brésil l’entrudo
La forme la plus primitive du carnaval appelée entrudo a été, comme de nombreuses coutumes, amenées par les portugais qui colonisèrent le pays.
Il n’y avait pas à proprement parler de carnaval au Portugal, mais une fête, se déroulant pendant les trois jours maigres à l’entrée du carême.
Il y eut beaucoup de discussions pendant son existence à cause de la brutalité et la vulgarité de ses pratiques.
A Rio de Janeiro, c’était une fête de rue, dominant toute la ville, se caractérisant par une joueuse agressivité
qui consistait à vider des bassines ou d’énormes seringues remplies d’eau ou de liquides nauséabonds sur les passants, leur lancer des œufs, des sacs de farine, de la graisse à chaussure ou du piment.
Cela restera dans la mémoire comme les marques de l’entrudo, avec son caractère de moquerie, où tout le monde finissait trempé et plein de matière boueuse et nauséabonde.
C’était surtout la jeunesse et les esclaves qui s’adonnaient à cette activité, bien que la bonne société y participât aussi.
Ces scènes ont été peintes par Jean-Baptiste Debret, peintre de la mission française amenée par D. João VI en 1816.
Musique : Entrudo de Carlos Lyra interprète Leila Pinheiro
L’Entrudo version Carnaval
Entretemps, dû à sa brutalité et à ses manières plutôt primaires, l’entrudo était déjà l’objet de critiques et de répression de la part des autorités, et cela depuis l’époque coloniale.
Le ton était le même au Portugal et au Brésil : ce n’était pas des habitudes civilisées, en Europe proprement dite, on ne procédait pas ainsi, cela n’existait qu’en péninsule Ibérique. Pendant la colonisation et l’empire, il y eut des tentatives de répression de ces festivités, ou pour le moins de diminuer ses abus, créant des législations policières appropriées, mais peu respectées.
Ses coutumes ne disparaitront qu’à la fin du XIXème siècle. Ce qui finalement donna des résultats fut sa substitution par le Carnaval.
Cette substitution se fit pendant la période du changement de siècle (du XIXème au XXème), coïncidant avec la grande réforme d’urbanisme menée par Pereira Passos Maire de Rio, au grand soulagement de tous ceux qui avaient hontes de ces coutumes qu’ils trouvaient indigne ‘d’européens’.
Les premières formes du Carnaval
Au cours de la campagne destinée à en finir avec l’entrudo, considéré comme sauvage et barbare, on réalisa qu’il était impossible de le détruire sans lui substituer le Carnaval selon le modèle européen.
C’est en 1855 que se réalisa le premier défilé sur ce modèle avec la création d’un club carnavalesque appelé Sociedade. Ce fut l’illustre écrivain José de Alencar qui introduisit à cette époque l’usage du mot italien et non le portugais : corso pour désigner le défilé, car le Carnaval s’inspirait du modèle italien avec ses confettis et ses fleurs. Ces dirigeants du club invitèrent même l’Empereur D. Pedro II, qui accepta l’invitation, laissant sa résidence d’été de Petrópolis.
Les Grandes Sociedades
Dans le Carnaval nouvellement instauré, le mardi-gras fut réservé à la présentation des Grandes Sociedades. Ce sont elles qui proliféreront et imposeront le nouveau modèle de carnaval, considéré comme plus civilisé et plus européen, ce qui à l’époque était synonyme. Elles portaient des noms pittoresques comme : União Veneziana, Zuavos Carnavalescos ou par exemple : Estudandes de Heidelberg et Acadêmicos de Joanisberg, toutes deux composées de personnes d’origine germanique et vêtues d’uniformes typique de cette population. Ces clubs étaient plus ou moins éphémères, il y avait des luttes, des dissidences. Vers la fin du XIXème siècle, trois clubs furent considéré comme les meilleurs : les Tenentes do Diabo, les Fenianos et les Democráticos. Les clubs carnavalesques étaient en général progressistes, républicains, abolitionnistes et philanthropes. Les Grandes Sociedades étaient strictement réservées à l’élite, les personnes pauvres ou métisses étant exclues de participation. Le carnaval de ces clubs inaugurera une pratique qui aura longue vie, celle de la critique sociale et politique.
Les bals et les déguisements
Autre pratique carnavalesque, qui commença avec les Grandes Sociedades fut celle des bals de Carnaval. Les clubs donnaient de nombreuses fêtes de préparation du Carnaval et, pendant celui-ci, fournissaient les participants des grands bals réalisés dans les théâtres de la ville. Vers la fin du XIXème siècle, la pratique se transféra et les bals se déroulèrent dans les sièges des propres clubs où l’on servait d’extravagants dîners arrosés de Champagne. Dans ces bals, les déguisements obligatoires étaient somptueux et signe de prestige social. Vers cette même époque, les thèmes et les chars à caricatures politiques se transformèrent en chars à ‘idées’, d’allégories, pré-annonçant déjà le futur enredo (intrigue) des écoles de samba.
Musique : Carnaval de salão marchas de Chiqinha Gonzaga, Lamartine Babo, Noel Rosa, João de Barro interpète Beth Carvalho
Le Carnaval de rues
Mais c’était dans la rue que le peuple qui n’avait pas les moyens d’accéder à ces bals se divertissait. Les habitants des quartiers suburbains accouraient en masse au centre-ville où défilaient les Grandes Sociedades. Celles qui habitaient le centre installaient des chaises sur le trottoir ou se penchaient aux fenêtres pour assister au spectacle.
En matière de rue, c’était la rue de l’Ouvidor (officier de justice mis en place par le donatário, Seigneur de la capitainerie héréditaire du temps du Brésil colonial), celle qui commandait tout ce qui se faisait à Rio de Janeiro. C’est ce que relate abondamment l’écrivain Machado de Assis dans ses œuvres.
C’était l’endroit élégant où l’on venait se promener tous les après-midis en commentant les nouvelles politiques et amoureuses. C’est là aussi que se trouvaient les boutiques de haute-couture et les sièges des journaux. Les cortèges du Carnaval passaient et repassaient par cette rue, bien qu’elle soit courte et étroite. La primauté de la rue de l’Ouvidor sera ensuite contestée.
La vaste transformation urbaine de Rio, bien que commencée dans le dernier quart du XIXème siècle s’accélère au début du XXème et change radicalement la physionomie de la ville. L’enthousiasme de la population, savamment orchestré par les journaux était énorme. Le prototype à adopter était la réforme urbaine du Baron Haussmann à Paris, avec ses larges avenues bordées d’immeubles imposants.
Personne se souciait des pauvres, vivant dans les vieux quartiers du centre en cours de démolition et qui seraient expulsés vers la périphérie, les condamnant à de longs trajets journaliers.
La réforme menée à bien dans les premières années du XXème siècle, aura comme conséquence le déplacement du centre nerveux de la ville.
La rue de l’Ouvidor sera abandonnée au profit de la longue nouvelle avenue Central, appelée ensuite Rio Branco.
C’est là que se déroulera le Carnaval à partir de 1907.
La nouvelle avenue, par ses dimensions, modifiera le caractère du Carnaval.
La rue de l’Ouvidor ne pouvait accueillir que 50.000 personnes, maintenant le nombre est décuplé, le Carnaval gagne de nouveaux horizons en tant que spectacle public augmentant l’importance de ses prestations.
Le transfert vers cette avenue, s’associa à la nouvelle importance prise par la place Onze, située à proximité. Cette place, au cœur des quartiers peuplés de noirs et d’immigrés deviendra le point de concentration du Carnaval des pauvres. Des heures avant le démarrage de ce Carnaval, ceux qui défilaient ainsi que les musiciens des orchestres répétaient étaient déjà là, et cela tous les jours des festivités. Bien des années plus tard, lorsque cette place sera rasée et remplacée par l’avenue Presidente Vargas en 1942, plusieurs sambas célébreront son ancienne gloire.
Les Grandes Sociedades entrent graduellement en déclin à partir de la création des écoles de samba.
Pourtant, beaucoup de ses caractéristiques seront absorbées par ses successeurs, par exemple, un composant fondamental comme le char allégorique, d’ailleurs évidemment transformé et réinterprété.
Une des choses qui disparut fut l’engagement qui se notait dans les chars de critique ou d’idées, la note rebelle devenant beaucoup plus atténuée ou même devenant muette.
Musique : Mamãe eu quero (Jararaca) 1937
Les ranchos
Parmi les précurseurs des écoles de samba figurent aussi les ranchos (groupes de personnes). Plus tardives que les Grandes Sociedades, ils pénètrent le Carnaval à la fin du XIXème siècle, provenant d’une origine plus nettement rurale, populaire et métisse. Ils dérivent des Ranchos dos Reis qui sortaient le jour du 6 janvier, partie intégrante de la célébration de la naissance du Christ. Ils étaient composés d’un cortège dansant et chantant, où prédominait l’aspect folklorique et religieux, ils intégraient donc les fêtes de la période de Noel. En ayant l’idée de transférer leur sortie au lundi du Carnaval, ses caractéristiques religieuses furent écartées. Le meneur de ce transfert fut le bahianais Hilário Jovino Ferreira, qui fonda dans les années 1890 le Rei de Ouro qui sera le second rancho de la ville. Il rentrait et sortait des différents rancho, mais fut le fondateur du fameux rancho Ameno Resedá – agréable Resedá (une herbe à la fleur très parfumée). Il fréquentait aussi la maison de la Tia Ciata (la Tante Ciata). Dans cette première phase, le rancho urbain est déjà syncrétique et hybride entre, d’un côté les traditions africaines et portugaises, et de l’autre, païennes, chrétiennes et profanes. Quelques années plus tard, en 1908, la création du rancho Amena Resedá amène d’importantes innovations. Le nouveau rancho s’investit plus dans la musique et la chorégraphie constituée de majestueuses et lentes pirouettes, augmentant le luxe des déguisements et divisant le rancho en secteurs comme l’abre-alas, le mestre-sala, le porta-bandeira, etc.. – et le char allégorique, éléments qui seront absorbés par les écoles de samba. D’autres ranchos du même style firent même des adaptations d’opéras. Comme d’habitude, les journalistes donnèrent leur appui et organisèrent un concours où le rancho Amena Resedá sortit victorieux en 1908 à la fête des Cordões, promue par la Gazeta de Notíciais, en face de son siège de la rue de l’Ouvidor. En 1911, les ranchos sortent du ghetto noir pour se présenter dorénavant sur le Passeio Público, gagnant de suite un jour propre pour défiler, le lundi du Carnaval, qu’ils maintiendront pendant plusieurs décades. Au début, les instruments que les ranchos utilisaient étaient rustiques et primitifs, avec comme percussions les pandeiros, les ganzás et les assiettes, ainsi que des instruments à cordes : violas (petites guitares) et violões (guitares). Plus tard, par raffinement, ils ajoutèrent des instruments à souffle comme les clarinettes et les flûtes. Autre aspect marquant étaient les cœurs des voix féminines aigues, qui avaient l’habitude d’aller de maisons en maisons en chantant et dansant, pour recevoir de l’argent ou des cadeaux des donateurs.
Le plus fameux rancho fut Amena Resedá, fondé en 1908, il disparaitra en 1941. Son hymne eut même l’honneur d’être composé par la célèbre Chiquinha Gonzaga. Ses présentations se revêtaient d’une opulence extraordinaire, ce qui était exceptionnel lorsqu’on se rappelle qu’il était formé des couches les plus pauvres de la population, au contraire des Grandes Sociedades. Un trait nouveau et de grande importance, ces ranchos avaient un enredo, c’est-à-dire la mise en scène d’une histoire, en général mythologique. L’apogée des ranchos se fit dans les décades des années 1920 et 1930, puis suivit une graduelle décadence, ils se virent peu à peu supplantés par les écoles de samba. Leur musique aussi les caractérisaient, ce n’était pas de la samba, mais une marche très lente appelée « marcha-rancho », se combinant avec le style du défilé, qui était dansé lentement, en figures amples et compliquées, s’accordant avec les paroles tristes et les accords nostalgiques. Les meilleurs compositeurs de samba, parfois, ne les dédaignèrent pas, composant des œuvres qui deviendront des classiques de la musique populaire brésilienne. Commençant par le meilleur de tous, Noel Rosa, auteur avec João de Barro de « As pastorinhas » (1934), mais aussi « Ô abre-alas » de Chiquinha Gonzaga (1900), « Rancho das namoradas » de Vinicius de Moraes et Ari Barroso (1962), « Marcha da Quarta-Feira de Cinzas » de Vinicius de Moraes et Carlos Lyra (1962) et bien d’autres. Et cela, malgré que le rancho proprement-dit, comme réalité physique visuel, fût déjà en train de disparaitre. Ces classiques sont toujours joués de nos jours à chaque Carnaval.
Autres précurseurs
Les autres précurseurs furent le zé-pereira, les blocos, les cordões et le corso.
Le zé-pereira
Le zé-pereira était un petit groupe de personnes, armées de très gros tambours, déambulant à travers la ville, et produisant un bruit assourdissant. Plus tard, il gagnera de la musique avec des paroles et s’incorporera dans le défilé général.
Il fut créé par un cordonnier portugais émigré, qui reproduisait une coutume de sa terre. Il fit un énorme succès et devint une pièce incontournable du carnaval carioca.
Il reçut une mélodie, alors que ce portugais était encore en vie, l’on chantait les paroles suivantes :
« viva o zé-pereira / viva o carnaval / viva a brincadeira / que a ninguém faz mal »
Les blocos
Unités plus petites et moins structurées que les ranchos, les blocos naissent d’association de voisins, de groupes d’amis ou de collègues de travail qui décident d’aller à pied au Carnaval, pour danser dans la rue, dessinant un parcourt pas très long. Ils sont reconnaissables par leur semblable déguisement, combiné à l’avance. Il n’y a pas d’enredo (intrigue).
Cette pratique est la plus usuelle dans les quartiers éloignés du ventre ville, où le carnaval de déroule. Parmi les plus célèbres et qui perdurèrent, se détache le Bafo da Onça (l’haleine du jaguar).
Les cordões
Les cordões paraissent constituer la forme la plus ancienne, du cortège carnavalesque populaire spontané. Ils étaient constitués de noirs pauvres. A ce qu’il parait, ils dérivaient directement des divertissements des esclaves, avec comme base, des instruments de percussion des plus primitifs. Peut-être étaient-ils aussi une modification de procession religieuse catholique ou de rite africain.
Les cordões furent finalement supplantés par les ranchos, plus complexes et de plus grande dimension.
Ils entrèrent en décadence à partir de 1907, année d’ouverture de l’avenue Central.
Mais en 1918, avec l’objectif de restauration explicite de la tradition récemment disparue des cordões, est fondée officiellement le « Cordão da Bola Preta » (le cordão de la boule noire). Alors, avec ses couleurs blanc et noir, avec un siège propre pour les bals, excluant les pauvres, il devint une institution du Carnaval carioca, bien qu’il n’ait rien en commun avec les cordões d’avant.
Les cordões n’avaient pas une bonne renommées, ils étaient infiltrés par des voyous, provoquant des bagarres, et même des morts. L’objectif de ces individus était de s’emparer et de déchirer l’étendard de l’autre cordão.
Le corso
Autre précurseur, le corso motorisé, inauguré en même temps que l’avenue Central en 1907, lieu de passage du Carnaval. Celui-ci fut ouvert par les filles du Président de la République qui la parcoururent en voiture décapotable, allant du palais du gouvernement, jusqu’à un autre immeuble de l’avenue, du balcon duquel, elles assistèrent au défilé. Qui avait une voiture aima l’idée et l’on vit des voitures défiler sur ce parcours. Le corso motorisé se passait le dimanche, jour de moindre trafic automobile. Des jeunes filles lançaient des confettis et des serpentins, assises sur les capotes des voitures qui roulaient lentement. Les spectateurs se rassemblaient sur les trottoirs, jetant eux aussi des confettis et des serpentins.
Cette tradition, disparut avec l’augmentation de la circulation automobile.
Musique : Bola Preta de Jacob do Bandolim
Les écoles de samba
La fin de l’esclavage, en 1888, libéra dans l’Etat de Rio de Janeiro une énorme population rurale, qui travaillait dans les plantations de café de la vallée du Paraíba. Cette population se dirigea vers la capitale de l’Etat, se fixant dans certaines zones du centre-ville. En leur sein, il y avait aussi beaucoup de bahianais. C’est de là que naitra la samba, puis les écoles de samba. Les écoles de samba présentent comme nouveauté, la samba, qui alors, était en train de naître. En fait, elles constituent une évolution du cordão, du bloco, du rancho, recueillant leurs caractéristiques comme le cortège, le chant, la danse, le déguisement, les masques, l’allégorie, développant certaines d’entre elles comme l’enredo, emprunté au rancho et le « carro das ideias » des Grandes Sociedades. Mais, défilant en chantant et dansant la samba, cela leur imprimait un style d’expression particulier, lié à la caractéristique syncopée de la samba. Ce style évoluera dans le futur, par une chorégraphie complexe qui n’existait pas avant, et dont il est possible de tracer le parcours à partir de la roda de samba (la ronde de samba).
La roda de samba, d’origine bahianaise, était le divertissement des heures de relâche des noirs. Danser en ronde existe universellement. Ceux qui se divertissent forment un cercle, battant des mains et chantant, alors qu’au centre, une personne ou un couple danse d’une manière perfectionnée ou décline des vers. L’on faisait ainsi dans la roda de samba. Au bout d’un certain temps, il y avait remplacement, le soliste choisissait quelqu’un dans le cercle, en lui donnant une umbigada (semba, en quimbundo) : un coup de nombril. Il y avait énormément de rodas de samba dans les quartiers occupés par les communautés noires du centre-ville. C’est à partir d’elles que se constitua la samba moderne, telle que nous la connaissons aujourd’hui. La samba « Pelo Telefone » (1917), bien qu’elle ne fut, pour certains et cela a été discuté, la première samba à être enregistrée sur disque, fixa le genre, et cela, grâce à sa popularité instantanée. Sa légitimité fut garantie par le fait d’avoir été enfantée dans la plus fameuse des rodas de samba, celle de la maison de la bahianaise Tia Ciata, maison fréquentée par les écrivains et artistes du Modernisme. Sur ce point, il faut se rappeler que les divertissements des noirs était toujours sous la mire de la police, qui soit les interdisait, soit les autorisait pour ensuite les réprimer. Les écoles de samba surgirent comme une tentative autonome de domestiquer les réjouissances des noirs. Les chocs sanglants entre deux cordões étaient fréquents, ceux-ci se détachaient par leur agressivité. Et si l’objectif d’un cordão était de frapper les membres d’un autre et de déchirer son étendard, dans les écoles de samba, cette compétition devint symbolique, l’humiliation de l’autre, se faisait par le moyen de la victoire au concours. La première école de samba fut le bloco puis rancho Deixa Falar, d’existence éphémère, fondée en 1928, dans le quartier du centre-ville d’Estácio de Sá. Dans les années suivantes, de nouvelles écoles se créèrent, mais aussi des blocos se transformèrent en écoles. Le premier concours de musiques de Carnaval est organisé en 1930 par la revue O Cruzeiro. En 1932, le journal Mundo Esportivo subventionne et organise le premier défilé d’écoles de samba sur la place Onze, dont le champion fut l’Estação Primeira de Mangueira, jusqu’à de nos jours, une des plus importantes écoles. En 1935, le défilé est officialisé, il occupe la place Onze jusqu’en 1942. De 1942 à 1977, le défilé se déroule sur l’avenue Presidente Vargas, passant pendant de courtes périodes par la toute proche avenue Rio Branco. De 1978 à 1983, il se déplace vers la rue Marquês de Sapucaí, rue où s’érigera le Sambódromo.
Musique : O século do samba (Estação Primeira de Mangueira)
La samba, musique de Rio de Janeiro
Il ne peut être nié que le phénomène “école de samba” surgit à Rio de Janeiro, ville liée d’une manière indissoluble à la samba. Il nous reste à examiner les deux éléments déterminants : pourquoi à Rio et pourquoi, au son de la samba.
La réponse à cette question est simple, et Noel Rosa à mettre en évidence ce qu’elle provoque, par l’irrésistible battement rythmique de sa percussion, pièce essentielle (avec la boisson et autres substances) de l’accès à la transe, rarement mentionné dans les études sur le carnaval), a répondu dans une de ses sambas de 1936 : « Palpite Infeliz » :
“Ao som do samba / dansa até o arvoredo” au son de la samba / même les arbres dansent
Mais d’abord, analysons les conditions de naissance de ce qu’on entend aujourd’hui par Carnaval Carioca.
L’origine de ce Carnaval se confond avec l’histoire spécifique de la ville où il a vu le jour, et surtout de son peuplement, par la venue des esclaves, puis par ceux libérés, amenant la création d’une culture populaire urbaine propre. La samba remonte au début du XXème siècle, ayant comme berceau Rio, et plus particulièrement les terreiros (locaux où se réalisent les cérémonies religieuses du syncrétisme afro-brésilien) situés dans les quartiers pauvres du centre-ville.
Le terreiro sert aussi de centre de divertissement pour la danse et le chant des noirs et des mulâtres. C’est pour cela, qu’il existe encore de nos jours, la distinction entre la samba de terreiro ou samba de quadro ou encore samba de meio do ano (samba du milieu de l’année) d’un côté, et de l’autre la samba-enredo utilisée seulement pour les défilés des écoles de samba et obéissant à ses normes.
Ne comportant au début, qu’une seule strophe, la samba en comporta une seconde, puis d’autres. S’allongeant ainsi, elle put conter une histoire, incarnée dans les déguisements et les allégories utilisées dans l’école de samba lors du défilé. La fixation par le disque, provoqua la fin de l’improvisation, mais aussi sa divulgation par la radio.
La samba fut tirée du folklore, de l’anonymat et de la transmission orale, en devenant création d’auteurs. « Pelo Telefone », qui si elle n’a pas été la première samba enregistrée, fut la première à prédominer dans un Carnaval.
Elle conserve encore dans sa composition en parties pas du tout combinées, les marques de la création collective usuelle à l’époque et l’incorporation de pièces folkloriques préexistantes. Elle fut le grand succès du Carnaval de 1917.
Quelques précurseurs
Les chroniqueurs et voyageurs du temps de la colonisation, mais aussi les écrivains de fiction, montrent la pratique de la musique, qu’elle soit instrumentale, chantée ou dansée, comme une constante de la société brésilienne. L’on faisait de la musique dans les salons des riches, dans les fêtes des églises, dans les temps de pause des esclaves. Le Carnaval était commémoré dans sa forme populaire par l’entrudo. Comme chanson, déjà au XIXème siècle, existe le lundu, africain par son nom, mais prestigieux dans les hautes classes de la société.
L’Empereur Pedro I le chantait, s’accompagnant à la guitare, allant jusqu’à en composer.
Caldas Barbosa, mulâtre brésilien, compositeur, eut du succès lorsqu’il interprétait ses lundus à la Cours du Portugal. Absorbé par la samba, le lundu céda sa place à ce nouveau genre.
Plus tard, surgit un autre précurseurs, plus immédiat de la samba, la maxixe, qui voyagea aussi en Europe, faisant succès à Paris en 1906.
Elle avait un rythme syncopé, d’origine africaine, et très bien pour danser en couple. Elle partagea le même destin, elle fut absorbée par la samba.
Entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, lorsque la samba est sur le point de naître, certaines formes intermédiaires apparurent, ayant de grandes oscillations dans la nomenclature.
Avant le disque et la radio, la diffusion était faite par des « pianeiros », qui exécutaient les nouvelles partitions dans des boutiques spécialisées, ou accompagnaient les films muets.
Dans ses deux activités, le maître fut le grand compositeur Ernesto Nazaré. Les « pianeiros » se produisaient aussi dans les théâtres de revues.
Les noms des types de musiques en vigueur à l’époque étaient : tango, qui ne doit pas être confondu avec son homonyme argentin, étant au départ une adaptation brésilienne de la habanera afro-cubaine, le choro, la polka et divers autres.
Tant Ernesto Nazaré que Chiquinha Gonzaga, musiciens de formation érudite et de visée populaire, sont deux des plus importants ancêtres du nouveau genre, ayant, avec leurs nombreuses compositions de haute qualité, contribué d’une manière décisive, à la fusion d’influences disparates, les mélangeant dans un creuset, qui fans le futur, donnera la samba.
Musique : Fadas (Luiz Melodia)
Les noirs dans Rio de Janeiro
Rio, en tant que capitale du pays avait un pouvoir d’attraction pour les noirs, qui tous avaient le désir d’y aller. Avec l’abolition de l’esclavage en 1888, l’on assista à une intensification de cette migration. Les ex-esclaves venaient des plantations de café de la vallée du Paraíba dans l’Etat de Rio de Janeiro, alors meilleure richesse du pays, mais surtout de l’Etat de Bahia. Ces derniers, amenant une culture si vigoureuse, qu’ils se distinguèrent bientôt par leur supériorité. Ils se concentrèrent principalement dans le centre-ville, où à cette époque résidait la population plus pauvre et métisse. Cette population, déjà depuis pas mal de temps, occupait d’une manière exclusive certains lieux du centre de la ville où se situait le cœur commercial et financier, contigüe aux quais du port. Ils s’amassaient dans de vieux hôtels particuliers plus ou moins en ruines, appartenant à une élite, qui avait fui vers d’autres quartiers, lorsque cet endroit commença à entrer en décadence comme zone résidentielle. Ces vieux hôtels particuliers furent divisés en de multiples petites cellules par leurs propriétaires, qui les louèrent à vil prix, leur permettant de toucher de gros bénéfices par la multiplication des cellules. A partir de là, l’entretien du lieu par le propriétaire cessait, et l’édifice commençait à se détériorer. Autre solution, pour loger ces personnes : le cortiço (la ruche), l’on construisit des baraquements sans installations sanitaires dans les jardins de ces hôtels particuliers. Le roman O cortiço de Aluízio Azevedo donne une bonne description de leur fonctionnement. La population pauvre qui vivait ainsi dans le centre était énorme. Evidemment, les risques d’incendies et d’épidémies étaient énormes. Lorsque fut décidé la réforme urbaine de Rio de Janeiro, qui dura plusieurs décades et divisa le pays, car elle exigeait d’énormes capitaux, principalement anglais, la première chose à envisager était la concentration de pauvres dans le centre. Et justement, ce centre dont le prix du mètre carré s’était énormément valorisé, qui était le siège du pouvoir économique devait être récupéré d’une manière urgente. La solution adoptée fut de construire d’amples avenues et d’ouvrir de larges places en expulsant les pauvres du lieu. Pour les pauvres qui auparavant, habitaient la zone où ils travaillaient, se fut un désastre, le changement pour les banlieues signifia de longues heures de transport, entrainant des dépenses supplémentaires. Ce fut un problème résolu par les élites, mais en créant un autre énorme pour les pauvres, existant encore de nos jours. Les anciens esclaves étaient discriminés dans l’accès au marché du travail libre, monopole des blancs et occupé d’une manière concurrentielle par les nouvelles vagues de travailleurs immigrés qui, jusqu’à la crise de 1929, arrivaient d’une manière ininterrompue d’Europe. Ils s’accommodèrent entre les travaux mal rémunérés et les expédients. Les femmes étaient la force vive, en plus des enfants et des tâches ménagères, elles faisaient des spécialités culinaires rassemblées sur un plateau, qu’elles vendaient dans la rue, vêtues de leurs robes bahianaises. Ce plateau sera d’ailleurs immortalisé en 1936 par la samba d’Ari Barroso « O tabuleiro da baiana ». Quant aux hommes, ils occupaient des fonctions n’exigeant que la force brute. Par exemple, dans le transport de charges, « escravo de ganho », vendant des articles dans la rue pour un patron, ou exerçant des offices manuels comme menuisiers, cordonniers, barbiers. Ils essayaient aussi de travailler d’une manière autonome. Le travail était le plus souvent exercé d’une manière irrégulière par rapport à la législation. Dans cette autonomie et cette irrégularité, mentionnons aussi, la prostituée, l’homme de main, le mendiant et enfin le « malandro » le voyou. Mais aussi, ils étaient présents dans la production du divertissement, espace où le noir finit par ouvrir un chemin et à se distinguer, grâce à ses dons musicaux. Dans trois secteurs, le noir réussit à s’introduire, à coup d’une dure compétition avec les immigrés blanc : comme main-d’œuvre qualifiée dans les travaux de réforme urbaine de la ville, comme soldat dans l’armée et comme docker dans le port.
Dans ce dernier, non seulement, ils le pénétrèrent et arrivèrent à le dominer, en se constituant en syndicat d’ethnie exclusive (o Resistência). Ils sortaient pour le Carnaval avec leur fameux rancho « o Recreio das Flores », du quartier de Saúde, situé à côté du port, bastion bahianais des dockers.
Musique : O tabuleiro da baiana d’Ari Barroso interprètes João Bosco et Daniela Mercury
Les pratiques religieuses
Les noirs amenèrent de Bahia deux de leurs institutions les plus enracinées : la religion (le candomblé) et les fêtes qui comprenaient les ranchos, les auto pastoris, les congos, la roda de samba, le jongo, les batuques – enfin un nombre incalculable de formes de divertissement qui gardaient en commun la structure processionnelle ou de cortège, le chant, la danse et l’instrumentation de percussion. La religion n’était pas absolument détachée des fêtes profanes, bien au contraire, les éphémérides se produisaient et se produisent encore parallèlement. Le candomblé, en dehors de son aspect initiatique et secret, se réalise dans sa partie publique, comme un spectacle de chant et de danse.
La ville nouvelle a Cidade Nova
La plus grande concentration de bahianais se trouvait à côté du centre, dans la Cidade Nova. Celle-ci doit son nom à une opération d’urbanisme réalisée dans une zone de marécages, après 1808, pour loger l’immigration portugaise arrivée avec dom João VI. Comme avec le temps, les habitants partirent vers la Zona Sul, ils furent substitués par les noirs. Contigües tous les deux, le centre et la Cidade Nova constituèrent la principale concentration prolétaire de Rio.La Cidade Nova a été gravée dans la littérature dans le poème « Mangue » de Manuel Bandeira du livre Libertinagem (1930).
Son centre était la légendaire place Onze appelée auparavant Rocio Pequeno (petit Rocio), non loin de l’actuelle place Tiradente, lieu traditionnel du théâtre de revue, qui s’appelait, Rocio Grande, noms bien portugais, faisant allusion à la place du Rocio à Lisbonne. Quand l’on parle de « place » à Rio, sans aucune qualification, il est clair qu’il se traite de la place Onze, lieu consacré de la culture musicale noire, concentration pour la sortie du Carnaval.
Elle sera à tel point implantée dans la mémoire collective, comme symbole de la résistance culturelle, que, des années après sa disparition, des sambas seront composées en sa mémoire. Certaines, comme « Praça Onze », de Herivelto Martins et Grande Otelo (1942), véritable lamentation, deviendra un classique de la musique populaire brésilienne.
Dans l’urbanisation de Rio, l’implantation d’un réseau ferroviaire en direction de la périphérie, constitua un facteur important dans le déplacement des populations pauvres expulsées du centre, elles allèrent habiter à côté des gares autour desquelles se formèrent des nœuds suburbains.
Beaucoup d’entre eux seront des noms d’écoles de samba comme c’est le cas de la Estação Primeira de Mangueira.
La compagnie ferroviaire « a Estrada de Ferro Central do Brasil », surnommée « a Central », en dehors d’avoir un rôle fondamental dans la vie des pauvres, va devenir également personnage de samba et même de cinéma dans le film de Walter Salles Central do Brasil (1998).
Il est nécessaire de prendre en compte ce rôle, pour décoder les paroles de certaines sambas, qui sans cela resteraient hermétiques.
Les populations pauvres, non seulement sont parties pour les banlieues, mais aussi, ce qui était une nouveauté, pour les morros. Ceux-ci se trouvant près du centre, et dans la ville, ne faisant pas dépendre son habitant des longs trajets quotidiens, les libérant de leurs dépenses de transport et de la perte de temps. Naturellement, les conditions d’habitation sont des plus précaires, il n’y a pas d’égouts, d’eau courante, d’électricité, il faut monter et descendre de grands escaliers tous les jours. En compensation, l’on ne perd pas d’heures précieuses en transport, l’on ne paie pas d’impôt et principalement, l’on n’a pas besoin d’acheter son terrain, il suffit de construire son baraquement.
L’origine du mot favela viendrait de cette époque.
Au retour de la guerre des Canudos dans le Sertão de l’Etat de Bahia en 1897, la soldatesque pauvre et métisse reçu, comme récompense, la permission d’occuper les terrains du morro de la Providência, dans le quartier de Gamboa, près du port. Immédiatement, son nom fut superposé par celui d’un autre morro appelé le morro da favela, le réduit des Canudos qu’ils avaient assiégé, pendant les mois précédent leur arrivée. Ce morro portait le nom d’une plante présente à cet endroit. Cette appellation désigna collectivement cette forme d’habitation précaire de la population pauvre.
Ainsi les morros devinrent et le sont encore de nos jours le siège de la samba et du Carnaval. La fête avec de la musique, du chant et de la danse, n’avait rien d’extraordinaire : c’était la pratique quotidienne de cette population d’origine africaine.
Tous les témoignages de l’époque parlent du résonnement de la musique dans ces quartiers, et aussi de leur musicalité hors du commun.
Musique : Praça Onze (Herivelto Martins et Grande Otelo) 1941
Tia Ciata e outras tias (la tante Ciata et autre tantes)
Luttant contre l’anonymat de la cité, concentrant dans la religion et la fête ou dans une religion festive, le foyer de ses traditions, et cœur de son organisation sociale, les « tias » vont se détacher dans ce milieu métissé, créant une culture populaire urbaine qui identifiera Rio de Janeiro. Elles étaient les matriarches qui exerçaient un énorme pouvoir, constituant le point d’appui économique et affectif de l’unité familiale, dans ce contexte de conditions de vie difficiles. Elles étaient toutes filhas-de-santo (filles de saint) dans le candomblé, donc également dirigeantes religieuses. Dans leurs maisons, il se donnait les cérémonies sacrées qui n’étaient pas strictement celles de terreiro, mais aussi les fêtes avec de la danse et du chant. Parmi les nombreuses dont l’histoire garda le nom, la Tia Ciata se détache, c’est dans sa maison de la Cidade Nova que naquit la samba. Née à Bahia, du nom de Hilária Batista de Almeida, en 1854, elle arrive à Rio à 22 ans. Là elle s’affirme comme grande pâtissière, vendant ses spécialités rassemblées sur un plateau à travers les rues du centre, habillée en bahianaise. Sa maison abritait, ce qui était d’ailleurs une coutume généralisée chez les pauvres, tous les nouveaux arrivés ou ceux en difficultés, dans la pratique de la solidarité qui leur donnait cohésion interne. Cela constituait en même temps un centre de fabrication artisanal de pâtisseries et d’habits, de rites de candomblé extra-terreiro et de fêtes. Parmi les « tias », Ciata resta dans la mémoire comme la plus festive, avec les fêtes les plus animées et qui duraient le plus longtemps, pouvant se poursuivre pendant plusieurs jours d’affilée. Il faut rappeler que les noirs pauvres devaient aller au commissariat afin de demander la permission officielle pour chaque fête qui se donnait dans leurs maisons et que, tant le candomblé, les batuques ou les fêtes de percussions étaient durement réprimés. Encore ainsi, au milieu de ses nombreux enfants, cuisinant pour tous ces gens – enfants, filleuls, parents, ôtes, maintenant sa maison, et travaillant dans la rue, Ciata avait encore la force et l’envie de donner des fêtes quasi quotidiennes qu’elle adorait, c’était elle aussi qui dansait la samba pendant le plus de temps. Personnalité extraordinaire, elle laissa sa marque dans la création de la culture populaire carioca et dans l’histoire de Rio de Janeiro. Pixinguinha, Heitor dos Prazeres, João da Baiana, Donga, tous le principaux sambistas, fréquentèrent sa maison, dans la grande époque des années 1910 et 1920. Curieusement, les premières références à la Tia Ciata faites par son contemporain, João do Rio, invoquèrent exclusivement à sa pertinence dans la religion africaine d’une manière terrorisante et d’un mode général négatif. La samba était en train de naitre, cela tarda, avant que les personnes le comprennent. Tia Ciata et son groupe, des familiers et des hôtes, participaient au Carnaval de rue comme intégrants du rancho Rosa Branca et du bloco de sujos O Macaco é Outro. Lorsqu’elle restait à la maison, le défilé passait devant sa porte pour la saluer. Petit à petit, et bien que la culture noire fut marginale, la renommée de la Tia Ciata s’étendit, atteignant certains secteurs sympathisants, en dehors de ce milieu, comme quelques journalistes, écrivains et artistes. Parmi eux, les modernistes, qui l’inclurent dans leurs œuvres, comme dans la poésie de Manuel Bandeira ou dans la prose de Mário de Andrade. Ce dernier, chef de file du Modernisme brésilien, lui consacre un chapitre entier de son fameux Macunaíma, montrait ainsi, la quantité et la variété des étrangers fréquentant cet endroit pendant une cérémonie religieuse. D’autres couches de la population se joignirent lors de ces cérémonies de candomblé : des banquiers, des universitaires, des policiers, des employées de maison, des boulangers, des mauvais garçons. A la fin de la cérémonie religieuse, la fête commençait, tout le monde dansant la samba. Il est à noter la présence régulière du poète Blaise Cendrars lors de son séjour au Brésil. Et encore aujourd’hui, lorsque le carioca contemple l’aile des bahianaise dans le défilé de chaque école de samba, quel que soit le thème de l’enredo, il y voit là, immortalisées, la Tia Ciata et les autres « tias ».
Musique : Um a Zero(Pixinguinha) interprètes : Altamiro Carrilho, Joel Nascimento, Chiquinho do acordeon, Paulinho da Viola, Paulo Moura, Paulo Sérgio Santos, Zé da Velha
Le cas discuté de la première samba
Le fait de savoir à qui revient la primeur de l’invention de la samba est une affaire qui provoque jusqu’à de nos jours beaucoup de discussion. Si nous tentons de voir les conditions de production de la musique populaire de l’époque, nous comprendrons les conditions qui subjuguent cette discussion.
Il est très difficile d’attribuer là des priorités quand il se traite, comme il était alors le cas, de pratique musicale produite collectivement , enregistrée sur aucun support – donc, variable, fluctuante, conforme au souvenir changeant de chacun, et en plus basée sur l’improvisation. Les chants de la roda de samba étaient donc sans auteurs et sans dépôt légal, le mot même de samba était initialement appliquée à la danse et non au chant.
Seulement, dans la seconde décade du XXème siècle, apparait un grand évènement : le disque. De cette coïncidence, découle l’enregistrement en disque des premières sambas, à partir d’alors, le nouveau genre musical était enregistré, en même temps que fixé et plus ou moins immobilisé.
Parmi les pionnières, il y eu « Pelo telefone », de 1917, qui, si non la première samba enregistrée, fut certainement la première à constituer un grand succès. Toute la ville la chantait, les fanfares la jouaient dans les kiosques des concerts dominicaux, et consécration finale, ce fut la musique la plus entonnée durant le carnaval, jusqu’alors, le défilé marchait aux sons d’autres rythmes que la samba.
Apparurent aussi de différents et variés enregistrements en disques, aussi bien que de différentes et variées impressions de ses paroles. Différents et variés aussi furent ceux qui la signèrent comme auteurs. Pour la première fois dans l’histoire, la samba avait rompu le cercle de fer entourant le ghetto de la Cidade Nova et conquis définitivement Rio de Janeiro.
Composée collectivement dans la roda de samba de la maison de la Tia Ciata, alors, l’un des participants, sort de là et l’enregistre comme œuvre exclusivement de lui.
Cela fut aussitôt contesté, même par la Tia Ciata elle-même, jusqu’à aujourd’hui, la question reste en suspens.
Parmi les différentes propositions qui, sauf erreur, ont de bonnes possibilités d’être la correcte, se trouve celle-ci, dont la première partie constitue une prière, avec sa mesure syncopée montrant, sans déguisement les marques récentes de la maxixe.
« O chefe de polícia/Pelo telefone/Mandou avisar/Que na carioca/Tem uma roleta/Para se brincar »
Suit un long refrain, mettent en évidence l’origine rurale des auteurs, étant pratiquement du folklore.
Deux points sont à signaler dans cette samba fondatrice :
1) la dominante d’un thème de répression, avec la présence du chef de la police comme personnage principal – exprimant avec vivacité la réalité quotidienne des ex-esclaves,
la surveillance et la répression de leurs loisirs et de leurs cérémonies religieuses, de la nécessité de faire des demandes écrites d’autorisations au commissariat pour leurs fêtes;
2) la mise en avant du téléphone, comme présence d’innovation technologique qui annonçait un Rio moderne, et qui intéressait tout le monde, en conjonction avec la récente réforme urbaine de Rio.
Musique : Pelo telefone (Ernesto do Santos ‘Donga’, Mauro de Almeida) 1917
Sources : Au son de la samba (Une lecture du Carnaval carioca)
De Walnice Nogueira Galvão
Professeure de théorie littéraire et littérature comparée à l’Université de São Paulo
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