Conversation avec Christine Chamson

 

 

« Pour être peintre ferme ton œil physique et ouvre ton œil mental »

Caspar David Friedrich

 

 © Christine Chamson/ADAGP

 

 
Christine Chamson est peintre et professeur aux Ateliers Beaux-Arts de la Ville de Paris.

J’ai eu le plaisir de faire sa connaissance lors d’un colloque sur Francis Ponge réalisé en 2009 à l’Université de Nice. Ce poète français nous avait inspirées toutes deux de manière inattendue : certains de ses textes nous avaient effectivement renvoyées à notre goût pour les sciences. Mais si j’avais été frappée, chez cet auteur, par une sorte de cohabitation de sa poésie et de l’esprit mathématique, c’est l’ancien goût pour l’anatomie qui, à la lecture des mots de l’écrivain, s’est réveillé chez Christine. Aimant étudier le silence, je ne pouvais qu’être sensible à l’amour attentif de Ponge envers les objets muets. Aimant peindre, notre artiste a su capter la luminosité et les images incisives qui, saisies dans le texte pongien, rappelaient aussi son propre répertoire graphique et pictural.

Lorsque Francis Ponge a écrit, dans son ouvrage Pièces, « La crevette dans tous ses états », il était peut-être loin d’imaginer qu’une artiste allait un jour lire si attentivement ses mots… pour poser ensuite, elle aussi, un regard esthétiquement transformé sur une simple crevette… C’est pourtant de cette attention artistique qu’est née, de la main de Christine Chamson, la série de gravures sur plexiglas autour de la « Crevette » que j’ai pu découvrir.

 

 

 

Crevette I,
Sans titre II,
 pointe sèche sur plexiglas 1988[1]

 

 

La surprise a sans doute été ma première réaction… comme c’est souvent le cas lorsque, devant nos yeux, l’inspiration créatrice prend le pas sur les « dessins d’observation »… Je n’avais jamais imaginé de telles possibilités de crevettes ! Mais c’est cela qui est fascinant : une sorte de constat inépuisable de l’infini des univers de l’Homme ! Si les artistes, comme tout un chacun, sont condamnés aux reproductions du Même, chacune de celles qui est élaborée avec sincérité et talent apporte du Monde une vision nouvelle… qui nous déstabilise parfois, mais qui nous enrichit sûrement !

C’est après cette Surprise autour de la crevette que j’ai suivi le magnifique parcours de Christine Chamson.

Il n’a pas cessé de me surprendre, donc de m’enrichir !

Je suis heureuse de pouvoir partager un aperçu de son univers avec les Lecteurs de ce site.

Merci beaucoup, Christine, d’avoir accepté cette conversation, qui se veut plus conviviale que technique… Une sorte de témoignage d’une vocation artistique… et les raisons de certains choix de supports d’expression…

 

 

Filomena Iooss :
Oscar Araripe, le peintre brésilien qui a ouvert, juste avant vous, cette rubrique « Portraits d’artistes », disait quelque chose qui m’a beaucoup intéressée. Refusant progressivement l’utilisation des matériaux conventionnels, il peint sur de la toile à voile en polyester pour mieux exprimer l’éphémère de la vie, ces sensations-perceptions qui se révèlent fugitivement pour s’égarer ensuite : « La toile de polyester et le papier calque me permettent d’être rapide et de capturer la substance des choses ». Il ajoutait d’ailleurs, lors de notre conversation transposée sur ce site : « Il faut peindre comme un chat attrape un moineau. […] Seule la vitesse parvient à capturer la vie sur la toile. » Cela exige bien sûr une grande maîtrise du trait, car aucune correction n’est possible. Une option, donc, que l’on ne peut assumer qu’après avoir atteint, me semble-t-il, une importante maturité artistique.

Vous, Christine, qui êtes peintre confirmée, vous semblez avoir préféré la gravure sur des matériaux difficiles, ce qui, par définition, force à la lenteur. Pourquoi ce choix ?

 

Christine Chamson :
La gravure semblait à une époque répondre à une exigence qui m’était nécessaire, je pratiquais également le dessin et la peinture. Avec le temps j’ai évolué pour substituer à la gravure (qui tout d’un coup m’apparaissait trop longue trop technique) la technique du Pen painting, superposition de dessin à la plume sur fond de peinture à l’huile (ou à l’acrylique), technique découverte aux Rijksmuseum d’Amsterdam au travers du peintre Willem Van de Velde I (1611-1693). Cette technique fut une vraie révélation car elle me permet de garder le coté minutieux voire obsessionnel du graphisme de la gravure tout en offrant une grande spontanéité d’exécution.

 

** 

 

F. I. : La littérature semble être votre grande source d’inspiration. Comment le justifiez-vous, dans la mesure où, cavalière passionnée, vous êtes particulièrement proche de la Nature ? À votre avis, qu’y a-t-il d’essentiel dans les textes littéraires qui vous amène à les utiliser régulièrement comme intermédiaires entre votre propre regard et la forme en rythme et en couleurs de la vie, qu’il pourrait directement vous transmettre ?

 

C. C. : L’un n’empêche pas l’autre, d’un côté je déambule dans la nature à cheval enrichissant ma bibliothèque de formes et de l’autre je voyage sans bouger de mon atelier dans les livres, et ce depuis l’enfance. Ces textes me transportent, me sont générateurs d’images. A partir des mots, j’invente des formes. Ainsi livres antiques ou modernes, plantes séchées, racines en tous genres, crânes, squelettes, coquillages, ou fossiles dialoguent-ils dans l’atelier.

 

 

 **

 

F. I. :J’aime beaucoup votre série d’arbres. Probablement parce qu’il s’agit d’un motif qui m’est cher. Les arbres en hiver, dépouillés de leur feuillage et ramenés en quelque sorte à leur nudité essentielle, découpée dans un ciel changeant, ont à mes yeux une beauté qui me fascine.

 

 

 

arbre 5,
arbre 27,
arbre 14,
Série « de terre surgiraient des arbres »[2]

 

 

Là aussi, vous les avez « pris » à la littérature, plus spécifiquement à Lucrèce (le philosophe latin auteur de l’ouvrage majeur De natura rerum [De la nature des choses]) en y ajoutant un trait qui fait penser à la précision de l’estampe asiatique. Épicurisme et épurement à la fois ? Originalité en tout cas qui vous démarque du travail également superbe des gravures d’arbres de Pierre Alechinsky, qui, dans une couleur et un trait qui ne me semblent pas les vôtres, aurait peut-être pu aussi vous inspirer.

Comment gérez-vous les différentes influences artistiques inévitables et la sincérité créatrice qui est le propre d’un vrai artiste? Est-ce quelque chose qui vous angoisse ? Oscar Araripe, qui a eu un parcours littéraire avant de se consacrer à la peinture, me disait poétiquement : « [La peinture] doit être pure comme le premier photon et personnelle comme le dernier soupir ». Est-ce que cela peut aussi résumer votre quête ? Un artiste est-il en mesure d’accomplir ce chemin sans devenir un homme/une femme torturé(e) par un excès d’auto-critique ?

 

C. C. : Les influences des uns et des autres (classiques ou contemporains) finissent par créer le sédiment sur lequel votre propre imaginaire, vos propres interrogations prendront forme dans un vocabulaire très personnel. Cela se fait tout naturellement à force de travail, de recherche. A propos de ma série d’arbres, « de terre surgiraient des arbres », je n’ai pas pensé à Alechinsky plus qu’à un autre bien que je connaisse très bien son œuvre, mais comme je vous le disais, les influences se superposent pour finir par créer sa propre écriture.

 

 **

 

F. I. : Gardez-vous le souvenir du bonheur des premiers moments dans votre vie d’artiste où vous vous êtes senti « voler de vos propres ailes » ? Dans la petite crevette-embryon, était contenu également l’embryon de l’Artiste… Y a-t-il des moments marquants de votre carrière où vous vous êtes réellement senti (re)naître ?

 

C. C. : Je vous parlerai de jubilation, chaque nouvelle série après une période de jachère, absolument indispensable, génère cette jubilation cet enthousiasme où l’on se sent naître à chaque fois. Pratiquement tous les temps de ma vie d’artiste sont marquants car ce sont eux qui permettent de devenir ce que l’on est. Ils sont nécessaires pour passer d’une étape à une autre. L’essentiel étant de garder cette énergie des premiers jours.

 

** 

 

F. I. : Nous savons tous par ailleurs que ceux qui ne font que du « mimétisme », et parfois même du plagiat, semblent mieux s’intégrer dans l’  « industrie artistique et culturelle » qui semble être, de nos jours, la Grande « décisionnaire »…

Comment vivez-vous l’équilibre instable entre l’envie, partagée par tout artiste, de laisser derrière vous une œuvre sincère et originale et la nécessité matérielle de voir votre travail exposé et vendu (ce qui peut vous contraindre à suivre des critères qui ne sont pas viscéralement les vôtres) ?

 

C. C. : Cela ne me préoccupe pas vraiment, je suis ma voie, vis mon aventure et comme vous le disiez au début de notre conversation, parallèlement à mon travail d’artiste j’enseigne, cela me rend libre.

 

** 

F. I. : Tout en vous remerciant de la richesse nouvelle que vous nous avez offerte, puis-je vous demander de choisir une œuvre pour la fin… et de nous expliquer ce choix ?

 C. C.: 

Tondo 30cmØ                 Sidera 12                       pen painting 2013

Pour illustrer tous ces propos j’ai choisi ce Sidera 12 extrait de ma dernière série*, inspirée de la lecture de Vie secrète de Pascal Quignard et de la philosophie antique (Lucrèce, de natura rerum, [de la nature des choses]).

Sidera, ce si beau mot qui veut dire « astres » en latin.

 

Je vous remercie, chère Filomena, de votre invitation à ce très agréable échange et souhaite une belle vie à Brasil Azur.

 

 


[1] Publication Francis  Ponge et la robe des choses, éditions de L’Harmattan, 2012, Entretien p.238 – 255 avec Bénédicte Gorrillot.

[2] Dessins à la plume sur papier Japon 2010, galerie Olivier Nouvellet Juin 2010 accompagné d’un texte de Bénédicte Gorrillot.

*Exposé en Juin 2013 à la galerie Olivier Nouvellet et accompagné d’un texte de Bénédicte Gorrillot. http://www.galerieoliviernouvellet.blogspot.com

Christine Chamson : http://www.behance.net/christine-chamson

 

 

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