« Le corps est la seule voie d’accès à la connaissance »
« Toute cuisine révèle un corps en même temps qu’un style, sinon un monde »
Michel Onfray, Le Ventre des philosophes
Le titre de ce Chocolat littéraire, « La langue du goût et la langue des mots », qui reprend une formulation de Michel Serres, sert à merveille le concept de ces rencontres culturelles des « Quatre Saisons » : c’est pour rehausser le plaisir des sens et celui de l’esprit que, dès le début, j’ai souhaité combiner la découverte gourmande des livres et la dégustation subtile du chocolat…
Affiche réalisée par Thierry Dardanello
Ce thème nous a également permis de prolonger la période de joie et d’abondance symbolisée cette année par le « Roi de la gastronomie ». Le Carnaval vient de se terminer… mais nous gardons notre posture d’épicuriens culturels, dans l’élaboration de nos menus éclectiques…
C’est hier que nous nous sommes donc réunis à la Cave à vins « Saveurs & Anthocyanes » pour mieux savourer encore les mots et les mets…
Notre ami Antoine Soave, membre lui aussi de Brasil Azur, a conçu pour cette rencontre un menu gastronomique absolument délicieux, dont ne manquait même pas une « moqueca de peixe », confectionnée avec des poissons tout juste sortis de l’eau !
On se croirait réellement à cet « âge d’or » évoqué dans les Saturnales et le Pays de Cocagne et décrit par Ovide dans Métamorphoses :
« … Les hommes cueillaient les fruits de l’arbousier, les fraises des montagnes, les cornouilles, les mûres qui pendent aux ronces épineuses et les glands tombés de l’arbre de Jupiter aux larges ramures. Le Printemps était éternel et les paisibles zéphyrs caressaient de leurs tièdes haleines les fleurs nées sans semence. Bientôt après, la terre, que nul n’avait labourée, se couvrait de moissons ; les champs, sans culture, jaunissaient sous les lourds épis ; alors des fleuves de lait, des fleuves de nectar coulaient çà et là et l’yeuse au vert feuillage distillait le miel blond.
Quand Saturne eut été précipité dans le Tartare ténébreux, tandis que l’univers vivait sous Jupiter, vint l’âge d’argent, qui ne valait pas l’âge d’or, mais valait mieux que l’âge du bronze aux fauves reflets. Jupiter resserra la durée de l’antique printemps ; l’hiver, l’été, l’automne inégal et le printemps raccourci partagèrent en quatre saisons l’année mesurée par ses soins. »
Touchant à la fois à l’Histoire, à la mythologie, à la sociologie, à la géographie, à l’économie, à la symbolique,…, les références à la nourriture apportent au texte où elles sont inscrites un supplément de sens qui excède leur signification immédiate. Elles traduisent parfois ce que les mots ne veulent ou ne peuvent pas dire. Elles créent instantanément des sensations qui nous font plonger avec bonheur dans une ambiance, dans une mémoire que le sens premier des mots ne suffirait pas à raviver. Inutile d’évoquer la madeleine de Proust, symbole par excellence de cette mémoire involontaire capable de faire sortir toute une enfance d’une tasse de thé : arrêt brusque du temps vécu, effusion irrépressible du « temps retrouvé »…
Évoquée dans un texte, la nourriture relance donc la lecture, car, en permettant d’halluciner l’objet absent, elle fait « monter l’eau à la bouche », réveillant le désir…
C’est bien ce qui est à la fois dit et démontré par ces vers délicieux de ce grand poète et ami qu’est Jacques Darras :
Je vous emmènerai chez Dandoy,
c’est à Bruxelles près la Grand Place
à la devanture il y a des Saint-Nicolas
en pâte dure qu’il faut mouiller
avec la langue pour les croquer
Saint-Nicolas plusieurs bouchées
il y a des couques aux fruits confits
angélique gingembre cerises trempées
dans l’eau de vie des pains au miel et des
sablés des speculoos cuits au café
c’est l’Arabie qu’on ingurgite quand
aux molaires on les confie il y a il y a
venus d’Egypte ou de plus loin des pains
d’épices de ficelles d’or enficelés que l’on
déplie avec les yeux dans un craquèlement
du papier tellement d’eau à la bouche vous
afflue que la vendeuse aussi vous enveloppez
dans le paquet-cadeau que vous ouvrirez
tout à l’heure sur le tapis la faisant fondre
à petites langues petites sucées silhouette
de sucre que l’œil affine la main peaufine
et que le corps à soi se veut transsubstantier
Dandoy Dandoy je vous publie d’intimité
mon appétit osant à tous faire paraître
même aux enfants osant le reconnaître
que de la vie je suis gourmand je suis
friand friable moi-même par mes miettes
escomptant qu’un jour l’on vînt à mettre
les mains sur la recette de mes poèmes
en caramel consolidé le sucre console
de nos défaites candy dandy avec les doigts
Dandoy ma voix se fait héraut faute que je
sois un autre héros moins soluble dans le lait.
Jacques Darras, « Dandoy », dans La Maye réfléchit
L’objet alimentaire se place effectivement du côté du plaisir de vie, autorisant une sorte de résistance jouissive au « principe de réalité » qui nous conditionne au quotidien. Liée à l’oralité, la nourriture comporte une dimension fantasmatique : l’évocation littéraire des aliments nous ramène inconsciemment à cette première période de notre existence régie exclusivement par le « principe de plaisir » : l’univers du nourrisson est bien le sein maternel, dont il remplit sa bouche… Bouche qui, ayant comme rôle primitif la fonction de nutrition, va progressivement se transformer aussi (grâce à « l’étayage de la pulsion » expliquée par Freud), en source de sensualité.
Michel Onfray, quant à lui, estime que les goûts et les dégoûts émergent en partie dès le ventre de la mère. Selon lui, « le corps est la « grande raison » ; […] la façon de se nourrir ramasse la façon d’être, de se comporter » (Le Ventre des philosophes)
Selon ce philosophe, le goût est voie d’accès à la subjectivité, à la réalité individuelle : « Chaque être associe au salé, au sucré, à l’amer, une charge symbolique qui le désigne comme projet singulier ».
Jacques Darras l’exprime superbement :
J’ai un corps réel.
Un corps que l’on m’a appris à regarder comme réel.
Qui parfois me fait mal.
Rarement.
Qui parfois me fait plaisir.
Souvent.
J’ai la chance d’avoir un corps qui ne se rappelle pas à moi par la
douleur mais par le plaisir.
Penser est un plaisir pour moi.
Comme je pense avec des images du monde autour de moi le fait de penser avec plaisir me fait spontanément communiquer mon plaisir au monde.
Position qui est à l’opposé de celle de Sartre, qui, dans L’Etre et le Néant, écrit que « manger, c’est, entre autres choses, se boucher ». Selon Michel Onfray, qui s’appuie en particulier sur des témoignages de Simone de Beauvoir, les nécessités du corps, aussi bien l’acte de manger que le rapport sexuel ou encore l’hygiène corporelle, ont toujours inspiré à Sartre dégoût et mépris : « Le mépris de soi, l’usage de soi comme d’une chose prennent chez Sartre le double visage de l’alcool et du tabac – variations sur le thème de l’horreur de soi ».
Voilà sans doute pourquoi Colette, aimant à la fois les mots et la bonne cuisine, ose le conseil suivant :
« Si j’avais un fils à marier, je lui dirais : Méfie-toi de la jeune fille qui n’aime ni le vin ni la truffe, ni le fromage, ni la musique ! » (Paysages et portraits)
À son tour, l’acte de manger, par le mécanisme de l’ingestion/digestion, renvoie métaphoriquement au champ du littéraire. C’est lorsque l’homme a commencé à préparer avec soin les aliments bruts offerts par la Nature, qu’il a fait un premier pas vers la culture. La cuisson par le feu suppose déjà une avancée considérable en termes de civilisation. Le vocabulaire gastronomique s’est également introduit dans le langage de la littérature et a inspiré de nombreux auteurs.
Comme le dit Roland Barthes dans sa « Lecture de Brillat-Savarin » :
« Manger, parler, chanter (faut-il ajouter : embrasser ?) sont [donc] des opérations qui ont pour origine le même lieu du corps : langue coupée, et plus de goût, ni de parole ».
De Rabelais à Muriel Barbery, des textes littéraires classiques aux plus populaires, en passant par Proust, Flaubert, Zola, Giono, Colette, Dumas, Perec, Ponge, Darras, Nothomb, …, la littérature française est remplie de textes où les saveurs stylistiques se lient aux saveurs culinaires pour le plus grand bonheur des sens.
De même dans la littérature brésilienne. Dans un pays où l’exotisme et l’exubérance de la Nature invitent au plaisir, multiples sont les auteurs qui proposent des textes délicieusement gourmands. Et cela dès la découverte du Brésil en 1500, si l’on tient compte du premier texte fondateur qu’est la Lettre de Pêro Vaz de Caminha au roi du Portugal, Dom Manuel :
« [Les indigènes] ne cultivent pas le sol et n’élèvent pas de bêtes, et il n’y a ici ni bœuf ni vache ni chèvre ni brebis ni poule ni autre animal qui ait habitude de vivre auprès des hommes, et ils ne mangent que de ces ignames qui sont ici en quantité et de ces graines et de ces fruits que la terre et les arbres produisent d’eux-mêmes ; et grâce à cela ils sont si parfaits, si forts et si bien en chair, que nous ne le sommes pas autant, avec tout le blé et les légumes que nous mangeons »
Depuis, des écrivains brésiliens reconnus comme José de Alencar, Machado de Assis, José Lins do Rego, Mário de Andrade, Guimarães Rosa, Rachel de Queiroz, Drummond de Andrade, Clarice Lispector… n’ont cessé d’utiliser l’objet alimentaire comme support ou complément des mots, comme code caractériel ou social, comme trace d’une mémoire personnelle ou collective. C’est probablement Jorge Amado qui a accordé à la nourriture la place littéraire la plus sensuelle.
« Le temps de la cueillette du cacao était venu. Dans les plantations, les fruits avaient mûri, toute une gamme de jaunes dans le paysage, un air doré. […] Ce matin-là, Gabriela disposait des gâteaux sur un grand plateau. Elle en avait déjà préparé un autre, encore plus grand, avec des acarajés, des abaras, des croquettes de morue, des beignets. […] Dès qu’elle entrait dans le bar, les exclamations fusaient ; son sourire se communiquait à tout le monde. […] Elle passait entre les tables où les hommes lui disaient des galanteries. Elle souriait aux uns et aux autres, sa présence rendait le bar plus accueillant, plus intime, lui donnait une animation inaccoutumée.
Nacib installé à son comptoir la regardait, ravi, les yeux à demi fermés, évoluer à travers les tables. Tout à l’heure il l’avait vue apparaître au bout de la place, la rose dans ses cheveux ; il savourait sa démarche ondulante… il savourait aussi à l’avance les petits plats confectionnés par elle (il avait dû se contenir pour ne pas dévorer les gâteaux destinés à la clientèle !) »
Jorge Amado, Gabrielle, girofle et canelle
Titre original : Gabriela, cravo e canela
Le roman Dona Flor et ses deux maris regorge de pages savoureusement sensuelles autour de l’objet alimentaire, la belle protagoniste dirigeant elle-même une école culinaire à Bahia.
Notre déjeuner chez « Saveurs & Anthocyanes » suivait le cours des délices verbaux et des lectures effectuées par plusieurs des convives…
Référence spéciale au divin gâteau au chocolat servi au dessert… qu’ Antoine a confectionné avec le « Macaé » gentiment fourni par Xocoalt, partenaire chocolatier de nos « Chocolats littéraires des Quatre Saisons ».
Ce chocolat noir est un 62% pur grand cru Brésil et se distingue par un fondant exceptionnel, apportant fraîcheur et finesse en dégustation. Il est issu de cépage « trinitario », est à la fois charmeur avec ses notes de fruits jaunes séchés et envoûtant par ses arômes boisés, poivrés et grillés. « Macaé » dévoile un final teinté d’amertume et de notes de thé noir.
Nous l’avons donc constaté une fois de plus, les nourritures appétissantes ouvrent un espace de convivialité qui fait oublier pour un temps les soucis quotidiens. Les idées s’épanouissent autour de la table, au contact des bons aliments.
En littérature comme en gastronomie, l’essentiel est donc affaire de langue…
Nous remercions vivement le généreux Sponsor de ce Chocolat littéraire de l’Hiver 2014, qui nous a permis de vivre un moment culturel d’exception !
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