« Nos passes, nos dribbles, nos tromperies, nos fioritures avec le ballon ont quelque chose de la danse ou de la capoeira qui arrondissent et adoucissent le jeu inventé par les Anglais »
Gilberto Freyre, 1938
Le texte fondateur de Brasil Azur prévoit comme objectif majeur de notre association culturelle la diffusion de la culture brésilienne au-delà des clichés coutumiers. Si, en ce qui concerne le Brésil, ceux-ci sont plutôt sympathiques, il n’en demeure pas moins qu’ils s’avèrent particulièrement réducteurs dans un pays aussi vaste et contrasté.
A la veille du début des matchs du Mondial, quelques questions semblaient donc s’imposer. Car on dit que le Brésil est « le pays du football » : est-ce une vision authentique ou purement stéréotypée ? Dans quelle mesure la description « exaltée » du foot brésilien correspond-elle à une réalité ? Pourrons-nous aborder le football au Brésil en lui transmettant une dimension extra-sportive, une dimension socio-culturelle qui justifierait la place intégrante qui semble être la sienne dans la construction d’une identité nationale ?
La Table ronde de ce soir tentera d’aborder certains aspects de ce thème complexe, que nous n’aurons pas la prétention de vouloir élucider. Ce texte a pour but de développer mon intervention orale, axée sur les aspects historiques et culturels qui entourent le foot au Brésil, en illustrant certains propos par des extraits d’ouvrages littéraires ou sociologiques. Ce que l’on peut dire d’emblée est que, dans ce pays, le foot semble effectivement constituer une philosophie de vie, une manière d’être au monde, un art, comme le faisait remarquer le célèbre sociologue brésilien Gilberto Freyre.
C’est peut-être ce qui explique que le Brésil soit le seul pays dont l’équipe nationale de football ait participé à toutes les phases finales de la Coupe du monde, et qu’il ait gagné cinq fois cette compétition (1958 – Suède ; 1962 – Chili ; 1970 – Mexique ; 1994 – États-Unis ; 2002 – Corée du Sud, Japon).
Que l’on évoque l’engouement populaire que ce sport suscite, ou les écoles de football qui prolifèrent ces dernières années, ou l’amour des supporters à leurs clubs respectifs (traduit dans les chants et les hymnes officiels des clubs), ou encore l’intérêt que les intellectuels ont très tôt porté à ce sport, tout cela donne à voir l’importance du foot dans l’imaginaire collectif et dans la vie quotidienne des Brésiliens. Cela, c’est une réalité !
Introduit dans ce pays par les Anglais, à la fin de XIXe siècle, quels ont alors été les vecteurs de diffusion de ce sport, les enjeux socio-culturels qui en ont fait un domaine quasi sacré pour le peuple brésilien ? Que représente effectivement la Seleção pour les différents groupes sociaux au Brésil ?
Bref survol historique
Au XIXe siècle, la Grande-Bretagne est la plus grande puissance industrielle, économique, politique et coloniale du monde. Ses ingénieurs, ses marins, ses agents commerciaux, ses administrateurs sont présents sur l’ensemble de la planète.
Le XIXe siècle, c’est aussi le siècle du sport. Un sport qui est lié aux valeurs de la rationalité, de l’entreprise, du capitalisme, de la compétition. Dans les écoles anglaises les plus renommées, les enfants découvrent le rugby, le football, l’athlétisme, qui leur inculquent des valeurs telles que le dépassement de soi, la volonté, la capacité à affronter l’adversaire, le travail collectif pour le bien d’une équipe. Entre deux candidats à administrateurs coloniaux, on va préférer celui qui est fort en sport à celui qui est fort en traduction. Car, face à d’éventuelles adversités, le premier saura mobiliser davantage des valeurs de combat ou de résistance physiques, donc mentales.
Au Brésil, le sport est donc entré par l’intermédiaire des Britanniques.
Il faut savoir que le Portugal a toujours noué avec l’Angleterre des liens diplomatiques et commerciaux tout à fait privilégiés.
Lorsque Napoléon décrète en 1806 le blocus continental contre le Royaume Uni, le Portugal refuse de l’appliquer et se fait donc attaquer par l’armée napoléonienne. La Cour portugaise quitte alors Lisbonne et s’installe à Rio au début de l’année 1808. C’est ce qui motive en 1815 la suppression par le roi portugais du statut de « colonie » jusqu’alors attribué au Brésil. Le Royaume du Portugal se transforme en « Royaume-Uni du Portugal, du Brésil et des Algarves ». Au moment de son départ à Rio, la Cour portugaise nomme à Lisbonne une sorte de gouvernement provisoire, présidé par un Anglais, chargé en particulier de faire face aux invasions napoléoniennes. D’autres Britanniques accompagnent la Cour à Rio.
Ce sont eux qui organisent les premières courses de chevaux dans la capitale du Brésil. Très prisées par les élites, elles conduisent en particulier à la création du Jockey Club de Rio, en 1854.
Avec l’indépendance du Brésil en 1822 et la proclamation de la République en 1889, l’idée de progrès s’associe à celle d’ hygiénisme. La volonté de réduire les taudis de la capitale brésilienne, sources de maladies tropicales endémiques, s’accompagne de la prise de conscience des bienfaits de l’exercice physique. D’autres sports d’influence anglaise s’installent, comme l’aviron et le canotage.
Parmi les multiples familles britanniques installées au Brésil, notre attention se tournera maintenant vers l’écossais John Miller. Accompagné de ses frères, il vient travailler dans la construction ferroviaire, pour la ligne qui allait relier le port de Santos à São Paulo. Il se marie avec une fille d’origine anglaise, née dans cette ville brésilienne. Ils seront les parents de Charles Miller, considéré comme « le père du football brésilien ».
Charles Miller
En effet, étant parti dix ans en Angleterre pour y faire des études, il y découvre le foot et devient l’un des meilleurs joueurs de son club. Jusqu’au moment de retourner au Brésil en 1894, il organise toutes les activités sportives de son école. Dans ses valises, il embarque avec lui les objets nécessaires à l’avenir du football dans son pays natal : un livre avec les règles du football association, deux maillots de deux grands clubs anglais, une paire de chaussures, deux ballons de foot et une pompe à air pour les gonfler.
Pendant ses années d’absence, en raison du cycle du café et d’une industrialisation rapide, São Paulo devient la capitale économique du Brésil. Une très forte croissance démographique accompagne la modernisation de cette ville brésilienne. Aux migrations intérieures (du Nordeste vers les grandes métropoles du Sud) s’ajoute une immigration d’origine étrangère, attiré par l’énorme besoin de main-d’œuvre qui se faisait sentir au Brésil et donc l’espoir d’une vie meilleure.
Parmi les 2,5 millions de personnes qui arrivent dans l’État de São Paulo entre 1884 et 1933, on compte 70 nationalités différentes (Italiens, Portugais, Espagnols, Japonais, Allemands, Autrichiens, etc.).
Lorsqu’il revient à São Paulo, Charles Miller travaille comme son père pour la compagnie de chemin de fer (notons que le développement du transport ferroviaire était nécessaire à l’industrie et à l’exportation du café ; lier les villes aux ports de mer devenait prioritaire au moment où les ¾ du café mondial étaient fournis par le Brésil, 50% du café consommé dans le monde vers 1900 étant récolté dans l’ouest pauliste). Mais il organise très vite les premières parties de foot, d’abord entre les Anglais installés dans cette ville, ensuite avec d’autres émigrés, Allemands en particulier.
Le 5 mars 1899 on assiste, à São Paulo, au premier « vrai » match de foot au Brésil (entre l’Associação Atlética Mackenzie College et le Hans Nobiling Team). Les choses avancent rapidement à partir de ce moment.
Les premiers clubs de foot apparaissent, liés au cosmopolitisme grandissant de São Paulo. Italiens, Portugais, Espagnols, Germano-Autrichiens, créent des clubs qui, au-delà de la pratique sportive qui les justifie, constituent des bases sociales et identitaires.
À Rio aussi, le football est arrivé en 1897 par le biais de l’Anglais Oscar Cox.
Il faut cependant garder à l’esprit que ces clubs sont fondés par des personnes issues de milieux sociaux aisés, qui envoient leurs enfants faire des études en Europe ou dans des collèges huppés des mégalopoles brésiliennes. Il s’agit de fils de politiciens, de gros commerçants ou de propriétaires ruraux (fazendeiros). Les fondateurs et les associés des clubs de foot, aussi bien à São Paulo qu’à Rio, reproduisent essentiellement le modèle des élites britanniques. Les spectateurs des matchs sont aussi des « familles distinguées ».
(Les premiers plus grands clubs paulistes : Corinthiens, 1910 ; Palmeiras, 1915 ; Portuguesa, 1920 ; São Paulo FC, 1935 ; Santos FC, 1912 – qui a eu Pelé sous contrat durant 19 ans ; À Rio : Fluminense FC, 1902 ; Botafogo FC, 1904 ; América FC, 1904 ; Vasco da Gama, 1915)
Mais en 1904, dans la banlieue de Rio, le club de Bangu va constituer une exception à cette règle. En effet, une importante fabrique de tissus (Companhia Progresso Industrial) s’est implantée à cet endroit et les techniciens anglais y travaillant ont souhaité créer une équipe de football.
Fabrique de tissus de Bangu
La direction de l’entreprise accepte et commande à Londres le matériel nécessaire. Un champ à proximité de l’usine sert de terrain de jeu. Les techniciens s’aperçoivent rapidement qu’ils ne sont pas assez nombreux pour former deux équipes. La distance de Rio à cette banlieue décourageant la participation de leurs compatriotes travaillant dans le centre ville, ils ont eu l’idée de solliciter les ouvriers de l’usine à intégrer leurs équipes. Ils étaient sélectionnés selon trois critères : leur compétence professionnelle, leur temps de service dans l’entreprise, leur comportement personnel. Des avantages immédiats sont accordés à l’ouvrier engagé dans l’équipe : il obtient un poste moins fatigant ; les jours d’entraînement, il est autorisé à quitter le travail plus tôt ; il est promu plus rapidement et acquiert la garantie d’un travail permanent ; il voyage pour aller jouer dans d’autres villes. Une sorte d’élite ouvrière du football se forme donc au sein de cette fabrique et, en peu de temps, le club de Bangu devient plus connu que l’usine elle-même. La direction de l’entreprise se sert de cette démocratisation du foot, qu’elle avait su déclencher, pour augmenter le succès commercial de l’établissement. Les critères d’embauche des employés de la Companhia Progresso Industrial donnent la préférence aux travailleurs qui jouent bien au football. De plus en plus d’ouvriers brésiliens commencent à mieux jouer que les techniciens anglais. Le joueur mythique Garrincha avait fait partie des travailleurs sélectionnés par cette fabrique.
Manoel Francisco dos Santos, dit Garrincha
Le statut exceptionnel de ce club ne se répand pas vite.
Afin de protéger le modèle coubertinien du sport aristocratique[1], les dirigeants de certaines ligues de Rio ou de São Paulo édictent des règlements contre les « intrusions sociales dépréciatives ». Les joueurs ne doivent ni vivre du sport ni être analphabètes. Entre 1910 et 1920, à une époque où le blanchissement de la race est considéré comme une nécessité au progrès de la société brésilienne, l’intégration de gens de couleur dans un club de football en particulier n’est donc pas envisageable.
Ceci étant, dès l’abolition de l’esclavage en 1888, les Noirs et surtout les Métis brésiliens investissent de plus en plus des structures socio-économiques qui leur permettent l’appropriation de pratiques culturelles valorisantes et socialement intégrantes. Le champ de la pratique sportive en fait partie.
Par ailleurs, le football va se développer rapidement dans tout le Brésil dès la fin du XIXe siècle. Des fédérations locales sont créées (São Paulo en 1902, Rio de Janeiro et Bahia en 1906, le Pará en 1908). Elles organisent des championnats dans les grandes villes.
À partir de 1915, les compétitions se mettent en place de façon régulière. Cela veut dire « spectacle », donc « public ».
En 1923, le réputé club carioca Vasco da Gama créé le buz en intégrant pour la première fois dans son équipe des Noirs, des Métis et des Blancs analphabètes. Il gagne le championnat et engendre la « première crise du football brésilien ». Les autres équipes, formées de joueurs de haut niveau issus des élites cariocas, se sentent humiliées.
Cela n’empêchera pas l’accélération de ce qu’on appellera l’amateurisme, puis le professionnalisme « marron », qui sera à l’origine d’une diminution progressive des préjugés raciaux au Brésil, tout au moins dans le milieu du foot. Les élites blanches se détournent alors de ce sport, qui suscite, à partir de 1923, un engouement populaire sans précédent.
Dimension culturelle
L’écrivain Edilberto Coutinho fait état de cette évolution du foot brésilien dans plusieurs de ses chroniques. Retenons ces extraits de son recueil Maracanã, adeus, traduit par Jacques Thiériot sous le titre Onze au Maracanã[2] :
« De nouveau dimanche, José s’arrête au bistro de m’sieu Joaquim, commande un verre de cachaça, crache la première lampe pour son saint, écluse le reste de la gnôle cul sec, où tu vas de si bonne heure ? s’enquiert m’sieu Joaquim, et José : Assister au lever de rideau, m’sieur Joaquim, y a un jeune gras qui a une sacrée touche de balle, il promet déjà de devenir un crack hors série. Oui, oui, et dis-moi l’ami, ce ne serait pas un petit blond de mon cher Vasco de Gama ? Non non, m’sieu Joaquim, ce serait plutôt un noiraud, m’sieu Joaquim, un diablotin qui fait partie du Bangu, la tignasse crépue et les jambes fines, il fait ce qu’il veut avec le ballon, m’sieu Joaquim, il traite la balle comme si c’était sa poule, faut que vous le voyiez, m’sieu Joaquim. »
« C’était l’époque de ce qu’on appelait l’amateurisme marron. Et dans les années trente, quand j’ai débuté, les Noirs et les mulâtres étaient déjà admis sans problème, en tout cas sur le terrain. Mais le préjugé existait, il n’avait pas cessé d’exister, et on s’en apercevait même par ce que racontaient ceux qui étaient de notre côté, comme ce colonel Barbosa, qui s’imaginait promouvoir les joueurs de notre club, le Bangu, en nous appelant, figure-toi, petits mulâtres rosés, mes petits mulâtres rosés, il disait. »
Dans un style incisif et fougueux, cet écrivain aborde le point de vue des journalistes, la manipulation politique et commerciale, les mécanismes qui attirent des milliers de fans vers les stades brésiliens, dans une sorte de folie collective. Des pages souvent poignantes, qui racontent, au fil des années, le quotidien des joueurs, leurs heures de gloire, la déchéance des champions : les coulisses, somme toute, de ce sport sacré, qui ont certainement contribué elles aussi à le rendre tellement populaire.
Il faut effectivement souligner que, contrairement à la France, où le football a longtemps été considéré par les universitaires en particulier comme un « objet intellectuellement et académiquement illégitime », plusieurs auteurs brésiliens utilisent, dès 1930, le thème du foot dans leurs productions littéraires, sociologiques ou anthropologiques.
C’est ainsi que Gilberto Freyre, probablement le sociologue brésilien de plus grande renommée internationale[3], écrivait déjà en 1938 que le style brésilien « parai[ssait] contraster avec ceux des Européens par une conjonction de qualités, de surprise, de ruse, d’astuce, de légèreté et en même temps de spontanéité individuelle ». Il ajoute : « Nos passes, nos dribbles, nos tromperies, nos fioritures avec le ballon ont quelque chose de la danse ou de la capoeira qui arrondissent et adoucissent le jeu inventé par les Anglais. »
S’inspirant alors de la notion d’esthétique employée par Nietzsche dans La naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique, publiée en 1872, Gilbert Freyre oppose au sujet du foot les deux forces majeures sur lesquelles, selon Nietzsche, repose l’art. Ces deux pulsions sont symbolisées par les deux dieux grecs Apollon et Dionysos. Le premier est le dieu de la « théorie », qui voit clair et loin. Il est lié à la rigueur, au rationalisme, à la réflexion… et se situe au-dessus de toutes les mêlées. Le deuxième, Dionysos, dieu de la vigne, représente l’ivresse à laquelle s’associent l’instinct et les forces naturelles. Par opposition à Apollon, il est associé au sensuel, au fougueux, à l’erratique, à l’insaisissable.
En utilisant le terme « apollinien » pour définir le style du foot anglais et en comparant le style du foot brésilien à une « danse dionysiaque », Gilberto Freyre rapproche le football de l’art… et fait donc prévaloir le côté esthétique du foot pratiqué au Brésil. Il contribue de façon majeure à faire du football brésilien une sorte de « mythe d’origine ».
Précisons que, dans les années 30, le Brésil se sentait inférieur à l’Argentine et à l’Uruguay en ce qui concerne ce sport. Il fallait donc insister sur une différence de type technique et corporel pour le valoriser par rapport au foot de ces deux autres pays de l’Amérique latine. Cela n’est pas nécessairement fondé et dénote une sorte d’instabilité émotionnelle du peuple brésilien, qui est manifeste lors de la tragédie nationale qu’a été le match final de la première Coupe du monde organisée au Brésil, celle de 1950.
Pelé avait 9 ans à cette date-là et raconte dans l’une de ses autobiographies :
« Le Brésil a perdu… Ce jour-là, je ne l’oublierai jamais, et je crois que je ne revivrai plus l’émotion qui m’a étreint. C’est comme si le Brésil avait perdu une guerre […]. Le chagrin de tous est immense. Je pleure sans pouvoir m’arrêter, mais je ne suis pas tout seul. C’est la première fois que je vois pleurer des adultes […] Je me précipite dans la chambre de mes parents où je sais trouver une image de Notre Seigneur en croix sur le mur, et je lui dis : Jésus, comment est-ce arrivé ? Pourquoi nous as-tu laissé faire une chose pareille ? Nous avions la meilleure équipe, tout le monde le sait bien – même les Uruguayens – alors comment avons-nous pu perdre ? Pourquoi avons-nous été punis ? Qu’est-ce que nous avons fait de mal ? Est-ce que c’est un péché d’avoir la meilleure équipe ?
[…] Ce soir-là, il n’y a pas de fête ; les rues sont vides. […] Nous ne voulons qu’une chose : oublier. Mais nous n’avons jamais oublié ».
Cette Coupe du monde de 1950, qui succédait à la dictature de Vargas (1937-1945) et voulait donner du Brésil une image de pays prometteur – le stade du Maracanã a été créé dans ce but – a finalement fait ressortir la question de l’ « impureté de la race brésilienne » et le sentiment éprouvé par les Brésiliens d’être une « sous-race ».
L’écrivain Nelson Rodrigues, né en 1912, évoque également ce problème dans ses textes, dans lesquels il prend souvent le football comme métaphore de la société brésilienne : « a Seleção é a pátria em calções e chuteiras » [« la Seleção, c’est notre patrie en shorts et chaussures de foot »]. Dans un style exalté, qui fait ressortir sa passion pour son pays, cet écrivain se bat contre l’évidence qu’est pour lui le fait que « le Brésil est très impopulaire au Brésil ». Dans son recueil de chroniques A Pátria de chuteiras[4], publiées pour la première fois entre 1950 et 1970, il condamne le trait de caractère de tout Brésilien qui se comporte comme une sorte de « Narcisse à l’envers », toujours prêt à s’auto-flageller. Le Brésil semblait oublier que la terrible défaite de 1950 avait été le point de départ d’une histoire glorieuse. L’écrivain met l’accent sur la conviction partagée par les supportters qu’un joueur brésilien tremble devant l’adversaire, qu’il juge systématiquement meilleur que lui.
Nelson Rodrigues ne cache pas sa fascination pour Pelé, qui avait de toute évidence réussi à sublimer positivement le chagrin de ses 9 ans.
Première photo connue de Pelé
À la suite de ses exploits lors de la Coupe du Monde de 1958, l’auteur le compare à Michel Ange, à Homère ou à Dante. Il admire l’auto-confiance et l’optimisme du jeune joueur noir, celui que Paris-Match avait surnommé « roi du Brésil » à l’âge de 17 ans. L’écrivain fait remarquer que de multiples compatriotes se limitaient à condamner l’absence de modestie de Pelé : « un crack de 17 ans », cela n’existait pas…
D’autres écrivains brésiliens de renom s’intéressent également au football, ce qui contribue certainement à relativiser son côté strictement populaire et à l’élever en tant que sujet de réflexion, au-dessus des stades proprement dits.
Aussi José Lins do Rego, auteur en particulier du beau livre présenté dans ce site L’Enfant de la plantation (traduction de Menino de Engenho), a-t-il écrit à lui seul environ 1500 chroniques autour de ce sport. On peut lire cette information en note de bas de page du document suivant, écrit par Edilberto Coutinho :
Son amour réel pour le foot et pour le club de son choix (le Flamengo) est visible dans le titre de son ouvrage Flamengo é puro amor. L’extrait suivant de sa chronique « Fôlego e classe » [« Du souffle et de la classe »], paru en 1945 dans son livre Poesia e Vida, illustre également ce sentiment, fondé sur une vraie observation des joueurs et sur la valorisation rationnelle de leur savoir-faire :
Muita gente me pergunta : mas o que vai você fazer no futebol? Divertir-me, digo a uns. Viver, digo a outros. […] Na verdade uma partida de futebol é mais alguma coisa que um bater de bola […]. Há na batalha dos vinte e dois homens em campo uma verdadeira exibição da diversidade da natureza humana submetida a um comando, ao desejo de vitória. Os que estão de fora gritando, vociferando, uivando de ódio e de alegria, não percebem que os heróis estão dando mais alguma coisa que pontapés, cargas de corpos; estão usando a cabeça, o cérebro, a inteligência. Para que eles vençam se faz preciso um domínio completo de todos os impulsos […], que os instintos devoradores se mantenham em mordaça. Um preto que mal sabe assinar a súmula […] assume uma dignidade de mestre […] dominando os nervos e músculos com uma precisão assombrosa. Vêmo-lo correr de um lado para o outro, saber colocar-se com tal elegância, agir com tamanha eficiência que nos arrebata.
De multiples personnes me demandent : pourquoi vas-tu aux matchs de foot ? Je vais m’amuser, réponds-je à certains. Je vais vivre, dis-je à d’autres. […] En effet, un match de foot, c’est bien plus que taper dans un ballon […]. Il y a dans la bataille des vingt-deux hommes sur le terrain une vraie exhibition de la nature humaine soumise à des directives, à un désir de victoire. Ceux qui, dehors, crient et vocifèrent, hurlent de haine et de joie, ne se rendent pas compte du fait que ces héros sont en train de donner plus que des coups de pied, qu’ils sont plus que des masses corporelles. Ils sont en train d’utiliser leurs têtes, leurs cerveaux, leurs intelligences. Pour vaincre, il leur faut une maîtrise parfaite de leurs pulsions, […] leurs instincts dévorateurs doivent être muselés. Un joueur noir qui sait à peine signer en bas d’un papier […] acquiert la dignité d’un maître […] en contrôlant ses nerfs et ses muscles avec une précision étonnante. Nous le voyons courir d’un bout à l’autre du terrain, se placer avec une élégance telle et agir avec tant d’efficacité que nous sommes transportés.
[Ma traduction]
La Coupe du monde de 2014 est la première organisée au Brésil depuis 1950. Le spectre de la première défaite sera inévitablement présent dans les esprits des Brésiliens. Il faudrait néanmoins insister sur le fait que, depuis 1950, on assiste, chez les joueurs brésiliens, à la conjonction de la « rhétorique artistique » et de la notion d’efficacité. Les virtuoses du ballon jouent également pour gagner. Dans un pays qui revendique son « anthropophagie culturelle » comme marque identitaire, on serait tenté de dire que le foot participe aussi à ce processus rituel d’ingestion d’influences multiples (aussi bien les européennes que les africaines et les indiennes) qui, une fois digérées, seraient transformées, par l’énergie créatrice, en un produit « nouveau », portant néanmoins la marque de la substance dévorée.
Quoi qu’il en soit, le foot brésilien fait preuve d’une vitalité qui s’inscrit dans la durée. Contrairement à la France, qui semble devoir compter sur la présence dans l’équipe nationale d’un leader hors du commun (comme Zidane ou Platini), au Brésil le renouvellement de qualité paraît assuré sans cesse. Si les terrains vagues sur lesquels les gamins apprenaient autrefois à jouer disparaissent sous l’emprise d’une urbanisation croissante, la passion pour le foot ne semble pas s’éteindre au fil des générations.
Justifiera-t-elle les investissements faramineux réalisés vis-à-vis de ce sport, au détriment des secteurs de l’éducation, de la santé, des transports ?
Sera-t-elle justement un véhicule de pacification, dans les favelas en particulier, pouvant conduire aux écoles, donc à l’instruction, les enfants les plus réticents ? Saura-t-elle jouer le rôle de catalyseur dans la prise des mesures sociales faisant drastiquement défaut dans un pays déjà incontournable sur la scène internationale ?
Voilà quelques-unes des questions qui seront également abordées dans notre Table ronde de ce soir, qui comptera sur la présence du grand joueur brésilien… et niçois… Everson Pereira da Silva, notre Invité d’honneur.
[1] Pierre de Coubertin fonde le Comité International Olympique qui tient son premier congrès en 1894 à la Sorbonne et qui décide que les premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne auront lieu à Athènes deux ans plus tard.
[2] Edilberto Coutinho, Onze au Maracanã, Paris, Le Serpent à plumes, 1994.
[3] Auteur en particulier de « Maîtres et Esclaves » (1950), ouvrage encensé par Roland Barthes et traduit du portugais par Roger Bastide (titre original : Casa Grande e Senzala (1930)).
[4] Nelson Rodrigues, A Pátria de Chuteiras, Rio de Janeiro, Editora Nova Fronteira, 2013.
Et aussi :
- Michel Raspaud, Histoire du football au Brésil, Paris, Éditions Chandeigne, 2010.
- http://www.paperblog.fr/4134115/l-equipe-de-football-du-bresil-vue-par-gilberto-freyre-et-pier-paolo-pasolini-bernardo-buarque-de-holanda/(dernière consultation le 28/05/2014)
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