En ces débuts 2016, année où nous entendrons beaucoup parler du Brésil, retour sur le livre d’une poète et romancière que nous aimons, au sein de Brasil Azur.
Guénane nous a fait l’honneur de sa présence lors de notre Chocolat littéraire de l’Automne 2014. Son sourire et ses mots ont illuminé cette rencontre, où il était question de présenter son récent roman Demain 17h Copacabana. Mais ce n’est pas la ville de Rio ni ses plages mythiques qui nous ont captivés. Car ce livre est avant tout un roman-portrait d’un Brésil immense et hétérogène… et nous avons été imprégnés, durant le temps suspendu de notre rencontre, de mots-images à la fois rieurs et poétiques, crus et poignants, échos bien réels du pays tout entier.
Il nous est donc très agréable de remémorer ce livre aujourd’hui, à travers la plume de Cathy Garcia, dans « La Cause littéraire – servir la littérature ». C’est elle qui souligne cette fois ce phénomène étrange et pourtant si vrai, parfaitement saisi par notre romancière : malgré « toutes ses douleurs, ses laideurs, l’injustice qui frappe, le fossé entre les classes et tout le poids de l’Histoire et des populations broyées », le Brésil, « quand il vous prend, il vous tient, ne vous lâche plus, c’est de la magie pure, une obscure sorcellerie ».
À lire et à relire
Demain 17 heures Copacabana
« Guénane nous entraîne dans le sillage d’un coup de foudre sous l’égide du poète Saint Pol-Roux, et nous voilà plongés à sa suite dans le Brésil des années 70. Dans ce roman, il y a quatre-vingt pour cent d’autobiographie et vingt pour cent de caïpirinha arrangée, comme elle le confie elle-même, et tout lecteur qui a eu la chance de franchir l’océan pour poser les pieds sur cette terre de braises, sentira frémir en lui les symptômes de cette douce maladie, ce virus brasiliensis dont on ne peut plus jamais se défaire.
Du Maranhão et de l’Amazonie au Minas Gerais, Brasilia, Belo Horizonte et plus au sud encore, Rio de Janeiro, quelques-uns des points les plus névralgiques de ce pays immense, sans oublier le sertaõ mangé de lumière et de désespérance, toute l’âme du Brésil est évoquée dans ces deux cents et quelques pages. Sa beauté, ses disparités, ses rythmes, ses rites, ses mystères, sa folie, sa monstruosité. Romancé ? Mais le pays lui-même est un gigantesque roman, quand il vous prend, il vous tient, ne vous lâche plus, c’est de la magie pure, une obscure sorcellerie.
Même avec toutes ses douleurs, ses laideurs, l’injustice qui frappe, le fossé entre les classes et tout le poids de l’Histoire et des populations broyées : « trop d’enfants à manger dans les poubelles, enfouis jusqu’à la taille, à fouir les décharges, leurs îles aux trésors, à en mourir de torpeur sous les émanations de la décomposition, le ventre enflé à force d’être vide ; (…) Luxo, lixo, étrange langue qui joue sur une seule voyelle pour nommer le luxe et les ordures ».
Brésil qui danse et « ici la nuit les rats mangent les bébés. Clouants tropiques (…), les paradis sont des livres que la vie ne lit pas ».
Et dans les années 70, la dictature… « Mais nous sommes en plein miracle économique, en réalité nous décollons et nous pourrissons en même temps, là est le miracle… », explique l’homme aux yeux de perdition aqueuse qui a enlevé la Bretonne et lui offrira le cercle magique de son nom. Quant à l’y enfermer, c’est une autre histoire. La fille est une Bretonne passée par la Prusse, difficile à soumettre.
Guénane a glissé dans ce livre, outre un vécu très personnel, la langue même du Brésil, fondante, envoûtante, elle l’entremêle à sa langue natale, délicieusement. Les Brésiliens ne parlent pas, ils vibrent, ils se caressent de diminutifs.
On lit et on voyage, on plonge et on souffre aussi, le virus se réveille… Il est inexplicable, mais si vous l’avez attrapé, alors vous savez.
On la suit donc volontiers, pas à pas, cette vive et attachante francesinha, cette pimenta, toute jeune, curieuse et entêtée, faite sans aucun doute du même bois que ce rouge Brésil, rouge sang qui bat aux tempes, qui fouette l’âme, qui fait sursauter, danser et pleurer tout à la fois : « la houille humaine, le radium humain (…). C’est ainsi que Saint-Pol-Roux appelle cette énergie dépensée par les yeux, les mains, les cris, les battements du cœur ».
Terre d’énergie, le Brésil l’est sans aucun doute, riche de tout son sang mêlé, contre lequel nulle suprématie ne pourra rien, diluée, emportée, brassée dans la convergence et l’impétuosité des fleuves, jusqu’à l’océan-femme, la belle Iemanja, qui les accueille tous en son sein fier.
Et la francesinha, est-ce un Brésilien de quinze ans son aîné qu’elle a épousé ou bien le Brésil tout entier ? Car à ce pays si contrasté, on peut aussi confier ses blessures, ses manques. Il se tisse des liens secrets entre lui et ceux qui ont le cœur boiteux et l’âme à vif.
« Si tu savais ne jamais arriver, partirais-tu ? » lit-on dans un poème de Saint-Pol-Roux. La réponse est oui, mille fois oui. Il y a des rendez-vous auxquels on n’échappe pas. Demain 17 heures Copacabana. »
Cathy Garcia, La Cause Littéraire, 3 février 2016
Guénane
La ville de Lorient ayant été anéantie par les bombes alliées, Guénane est née le 26 juillet 1943, « en exil » au cœur de la Bretagne. Elle a grandi dans la vallée du Blavet, fleuve canalisé par Napoléon, en un lieu où régnait une usine sidérurgique et où continue d’étouffer son enfance. Après des études de lettres à Rennes où elle a enseigné, elle a longtemps vécu en Amérique du Sud. Elle réside aujourd’hui en Bretagne Sud là où le Blavet se jette dans la mer.
Bibliographie :
Poésie : Au-delà du bout du monde, La Porte, 2015 ; L’approche de Minorque, La Porte, 2014 ; Dans la gorge du diable, Apogée, 2013 ; La guerre secrète, Apogée, 2011 ; La ville secrète, Rougerie, 2011 ;Couleur femme, Rougerie, 2007 ; L’Ile Subtile, Rougerie, 2007 ; Ile, Rougerie, 2006 ; L’océan te l’apprendra, Rougerie (2005) ; L’idée d’île, Rougerie, 2003 ; Une île dans le regard, Rougerie, 2002 ;Un fleuve en fer forgé, Rougerie, 2002 ; Poing d’ombre, Rougerie, 2000.
Plaquettes : Venise ruse, La Porte, 2012 ; Hoedic (Caneton), La Porte, 2010 ; Le Mot de la fin, Apogée, 2010 ; Sein, La Porte, 2009 ; L’île frôlée, La Porte, 2005.
Prose, deux récits : 40 pieds sur le Rhum, G.D Editions, 2003 ; L’ange gardien, éditions Blanc Silex, 2001.
Romans, nouvelles : Demain 17 heures Copacabana, Apogée, 2014 ; L’Approche de l’Equinoxe, nouvelle avec bois poli signé Christophe Carmellino ; Carnet des Sept Collines, Jean-Pierre Huguet Editeur, 2007 ; Pax, Amers Editions, 2002.