“Peu d’hommes sont doués de la faculté de voir ; il y a en a moins encore qui possèdent la puissance d’exprimer… […] Tous les matériaux dont la mémoire s’est encombrée se classent, se rangent, s’harmonisent et subissent cette idéalisation forcée qui est le résultat d’une perception enfantine, c’est-à-dire d’une perception aiguë, magique à force d’ingénuité”
Charles Baudelaire, « Le Peintre de la vie moderne », dans Critique d’art
Les souvenirs d’enfance les plus précoces semblent être de type visuel. C’est en renforçant jour après jour « l’impression » que la compréhension finit par advenir. Chez Ricardo, dit Kadão, cela s’affirme comme une évidence : c’est bien dans son regard d’enfant inlassablement jeté du morro sur l’asphalte, en surplomb du Pain de Sucre, que ses rêves ont pris forme, que sa vision du monde est née.
Photo © Kadão Costa
Kadão a vu le jour dans la favela de Santa Marta, à Rio de Janeiro.
J’ai eu le plaisir de le rencontrer récemment à Nice.
Entre ces deux moments, un parcours de vie magnifique, guidé par les échos des mots paternels : “Ne cesse jamais de rêver. Tes rêves te conduiront à des lieux inimaginables”. Parcours également façonné par la mémoire des ancêtres, souvent des femmes. Femmes héroïques, puisant leurs forces dans leurs drames, faisant de la générosité une forme d’exutoire. Voilà comment l’acuité d’une perception enfantine s’est peu à peu transformé chez Kadão en sensibilité artistique, en attention au monde et aux êtres. À travers sa pudeur, le désir de rendre hommage à ceux qu’il chérit.
Photo © Kadão Costa : “Ma grand-mère, Dona Geralda, mon fils dans ses bras, mon neveu à ses côtés”
Diplômé de Sciences sociales et Production culturelle, ce jeune homme intervient dans les domaines de la musique, des arts plastiques, de la photographie et de la mémoire sociale.
Percussionniste dès son jeune âge dans différentes formations, Kadão Costa intègre depuis neuf ans, sur la scène carioca, le groupe de samba et de choro “Fala Brasil”, qui lancera prochainement un DVD.
“Fala Brasil”
Il a produit à Rio le spectacle musical “Suite Quebra Coco”, au Théâtre João Caetano, et la bande sonore du court-métrage “O gigante do Papelão”. Il a lancé la chanteuse-compositeur Pollyanna Ferrari.
En 2001, Kadão a composé une partie de la musique officielle du Carnaval de San Remo, en Italie.
Depuis 1998, il vient régulièrement en France, où il produit des événements musicaux. Ce pays lui est cher. Son père, Walmir da Costa, a effectivement été mariée avec une Niçoise. De cette union est née une sœur de Kadão, les deux gardant des liens étroits. Notre artiste affectionne donc le sud de la France… ce qui sera pour nous aussi, au sein de Brasil Azur, l’occasion de développer les échanges, auxquels nous tenons tant, entre Nice et le Brésil. Car son action, nous l’avons précisé, ne s’arrête pas à la musique… et correspond particulièrement à l’esprit fondateur de notre association culturelle.
Craignant que l’avenir de la favela qui l’a vu naître devienne purement une affaire de promoteurs immobiliers, Kadão a conçu l’ÉcoMusée “Nega Vilma”, du nom de sa tante [traduction affectueuse de “la Nègre Vilma”]. Fondé en 2009, son but est de préserver et de diffuser le patrimoine immatériel du sommet du morro de Santa Marta, le terme morro signifiant en portugais une petite montagne arrondie située au milieu d’une plaine, où se trouve généralement, tout au moins à Rio, une favela.
http://ecomuseunegavilma.wix.com/santamartarj#!acervo/c161y
Il a été commissaire de l’exposition “Memórias do Morro” [Mémoires du Morro], réalisée au Musée de la République. En 2015, sa photo de Nega Vilma a intégré l’exposition “Mulheres deste século” [“Des Femmes de ce siècle”], au Musée d’Art de Rio (MAR).
« Nega Vilma » © Kadão Costa
L’histoire narrée par l’ÉcoMusée “Nega Vilma” figure dans l’ouvrage de Jean-Yves Loude, Pépites brésiliennes (2013). Un article de Kadão Costa sur ce musée est publié dans le livre Museologia Social de 2014.
Notre artiste s’intéresse donc au domaine de la photographie… et ses choix, qui m’ont beaucoup touchée, vont vers ce sensible percutant qui transfigure ou révèle autrement le réel capturé.
Parmi les expositions organisées par Kadão, citons “FotoRio 2003”, à Santa Marta, “Maiores de 40”, “Santa Marta dos Anjos” e “Nossas Raízes”. Il est intervenu comme producteur et traducteur des événements “Fashion Real” (École Nationale Supérieure des Beaux-Arts – Paris) et “50 anos do Grupo de Senzala de Capoeira”. Il a produit le registre photographique des œuvres des artistes plastiques Wanda Pimentel e Luiz Aquila, ainsi que des livres “Rio em Movimento” et “Paulo Casé 80 anos”, du photographe Marco Terra Nova.
Dans la revue “Raça”, Kadão Costa a photographié les actrices Nanda Lisboa (couverture du mois d’août 2013) et Ruth de Souza (mars 2014). Il est l’auteur de quelques publications photographiques dans certains livres lancés en 2015, tels que “Tudo Junto e Misturado”, “Rio Book”, “Pedregulho”, en plus de la couverture du livre “Maresia” (Italie). Il a été producteur au sein du “Estúdio Líquido de fotografia e cinema”.
Actuellement, et en partenariat avec Brasil Azur, Kadão prépare l’exposition “RIO, CITÉ OLYMPIQUE” qui aura lieu au Restaurant “Sol Maior”, en plein coeur de Nice. Cet espace accueillant est tenu par son père, qui finalement reproduit, en terrain européen, ce que lui et sa mère Dona Geralda aimaient faire à Santa Marta…
Dans les années 70, sur le site du futur ÉcoMusée
Quarante ans plus tard, au même endroit
À Nice, comme avant à Rio, Walmir da Costa continue à rassembler des gens, à leur faire à manger, à les pousser à danser…
Cuisine originale et authentique dans ce seul restaurant brésilien niçois, où fragrances, épices et culture se mélangent harmonieusement au “swing” des favelas cariocas, et où toute racine se développe en rhizome… Car le populaire et l’érudit s’y complètent sans peine, l’enfance y éclabousse les saveurs du présent, la mémoire des ancêtres y croise l’actualité cosmopolite… Tout cela dans une ambiance niçoise qui recèle en fin de compte la quintessence même du Brésil tout entier. On s’en réjouit !
Memória que transpassa, ultrapassa e se funde
Chego à Nice, Costa Azul da França e encontro meu pai – filho de Dona Geralda, irmão de Nega Vilma, mestre Sorriso, Rosa, Vanusa, Roberto, Valfredo e Vanilsa – fazendo o que sempre foi comum no meu quintal: juntar gente, comer, dançar e congregar.
Sob o aspecto de um restaurante chamado Sol Maior, o cara estabeleceu um pedaço do nosso quintal no Santa Marta, com tudo que vó Geralda fazia, em pleno território europeu.
Na sua cozinha autêntica e original, saboreio os temperos de minha infância, do meu país e de minha história. Pessoas de todo canto do mundo se misturando na existência de meus ancestrais numa transculturação constante nesse lugar.
Mais do que comida, servimos cultura, mostramos naturalmente um jeito original e enraizado em suas origens misturadas transformando e transformadas a cada encontro.
Sendo o único restaurante brasileiro da cidade passamos a ser, de certa forma, referência de um país tão plural como o nosso. E o representamos com o autêntico suingue do Rio de Janeiro, especificamente originário das favelas cariocas.
Erudito e popular servidos no mesmo lugar, temperado no samba, no candomblé e cozido na memória social de um povo.
Kadão Costa