Arthur Piza est un des artistes dont on écrivait (j’écris au passé, car il a disparu cette année, en mai 2017) : « Brésilien de São-Paulo, vivant à Paris », puisque le prestige de la France a attiré de nombreux artistes, et Piza est arrivé à Paris en 1951. Il a été accueilli dans l’atelier d’un graveur venu de Prusse, Johnny Frielaender, qui a été un extraordinaire « passeur », permettant à de nombreux artistes de se former, la Portugaise Vieira Da Silva, le Chinois Zao Wou-Ki ou le Brésilien Piza. Ces rencontres d’artistes venus de multiples horizons ont donné lieu à ce qu’on appelle la « Nouvelle École de Paris » — on connaît la « Première » : Picasso, Chagall, Soutine, Modigliani, Foujita, etc. (etc. c’est écrasant !). Parmi ces artistes, il y avait des graveurs, artistes pratiquant un art exigeant et austère, et qui avaient un lourd héritage à assumer : l’eau-forte moderne (le « vernis dur ») a été créée par le Lorrain Jacques Callot (vers 1616) — il nous a transmis sa vision des Grandes Misères de la guerre (de Trente Ans, 1633) —, puis elle a été portée à son plus haut niveau par Rembrandt (même époque), ensuite magnifiée par Goya (les Caprices, 1799), et enfin (je simplifie) génialement illustrée par le maître du XXe siècle, Picasso — dont la célèbre Suite Vollard (un ensemble de 100 gravures des année 30) vient de battre (novembre 2017) un record de vente (1,55 millions d’euros).
Que pouvaient inventer les artistes de l’après-seconde guerre pour faire autre chose ? Dans les années cinquante, la peinture (en France, mais aussi en Amérique avec « l’expressionnisme abstrait ») décide de peindre des formes pures : ce sera l’art abstrait. Or la peinture bénéficiait d’une possibilité : un tableau semble être une image plane, en deux dimensions, mais la peinture a plus d’une corde à son arc : elle peut jouer sur la transparence de certaines matières picturales, elle peut se servir de l’épaisseur et des reliefs : le peintre français Pierre Soulage, le plus célèbre aujourd’hui de cette génération, ne peint pas des « tableaux tout noirs ». En effet, il joue avec virtuosité sur les reflets, les épaisseurs et les stries pour (si le tableau est bien éclairé !) peindre avec la lumière. A côté de ces tableaux, la gravure semble bien démunie car elle peut donner l’impression de ne pouvoir servir qu’à reproduire en plusieurs exemplaires des dessins « 2 D ».
Une première gravure de Piza, vue de face
C’était sans compter sur l’imagination d’artistes comme Piza. Mais pour s’en rendre compte, il ne faut pas se contenter de regarder des reproductions (sur Internet, par exemple), il faudrait les voir en vrai. On se rend alors compte que Piza joue avec « l’estampage », c’est-à dire avec les creux que la plaque crée dans le papier au moment du tirage de la gravure. Dans le cas des gravures ordinaires, le creux est peu profond et assez régulier. Dans le cas de quelques artistes dont Piza est l’un des plus brillants représentants (avec Dorny et Boni tout particulièrement, pour lesquels on parle aussi de « gaufrage »), l’estampage est irrégulier et participe pleinement à la création. Si on regarde de loin et de face la gravure, on voit une construction poétique de figures un peu géométriques qui occupent l’espace de façon ludique…
Une seconde gravure de Piza, également vue de face
… et avec un jeu sur la matière colorée : on passe de nuances claires à des nuances foncées, avec de légères lignes (plus ou moins verticales) suggérées : tout cela oblige l’œil à se déplacer. Ces figures géométriques n’occupent pas l’espace de façon statique, elles semblent en mouvements : c’est déjà une œuvre véritable, originale qui s’offrent à notre regard. Cependant si la gravure est exposée de façon à ce qu’on puisse la voir à l’oblique, …
… et si un éclairage rasant permet un jeu de lumière, des effets de relief apparaissent (ce qu’une image compressée comme il est d’usage sur Internet ne permet pas de bien voir, hélas!) et c’est une sorte de sculpture en papier avec des effets de couleurs qui apparaît : la gravure a grandement gagné en poésie et en profondeur. Enfin, c’est en examinant le dos de la gravure (et toujours si la lumière est suffisamment rasante pour mettre les reliefs en valeur) …
… que l’on voit l’importance de l’estampage. Je ne connais pas de documentaire montrant comment Piza réalisait ses gravures. Je n’ai vu (par d’autres artistes) que des tirages d’eaux fortes traditionnelles, sans autres effets de relief que ceux que l’acide crée naturellement dans le cuivre. Comment Piza s’y prenait-il ? A-t-il expliqué ses méthodes (bien des artistes sont muets sur leurs trouvailles) ? Peut-être y avait-il deux étapes : l’une avec une grande plaque rectangulaire pour le fond, et une seconde avec des petites plaques de formes variées pour les reliefs qui donnent l’impression d’ « objets volants non identifiés » occupant provisoirement un espace prêt à se transformer… Mais comment jouait-il simultanément avec les couleurs ? En gravure classique, il y a autant de plaques (et de passages) qu’il y a de couleurs. Or Piza devait prendre de front un paramètre supplémentaire : le relief. C’est cette talentueuse exploration de la 3e dimension, très difficile à réaliser en gravure, qui est la marque du travail créatif d’Arthur Piza (1928-2017).